Quand les forêts et le climat brûlent
Rédaction Tilt le 05/09/2023
7 min de lecture 🧠 Niveau « J'y connais rien »
Incendies en Grèce, ciel orange apocalyptique à New York, méga-feux canadiens... cet été encore les feux de forêts ont fait les gros titres, affectant des régions du monde entier et provoquant des destructions massives. Mais si le lien entre dérèglement climatique et incendies de forêts était encore incertain il y a dix ans, ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’après le rapport de l’OCDE « Maîtriser les feux de forêt dans le contexte du changement climatique » publié en mai 2023, on observe que les incendies de forêt deviennent de plus en plus fréquents et graves, menaçant les communautés, la nature et causant beaucoup de dégâts économiques. Depuis 1959, la superficie annuelle moyenne brûlée par les incendies de forêt a triplé au Canada ; dans les forêts australiennes, elle a augmenté en moyenne de 800% entre 1988-2001 et 2002-19, et on observe des tendances similaires en Chine, en Inde, en Sibérie ainsi que dans les forêts tropicales d'Amazonie et d'Afrique centrale.
Le chiffre qui fait Tilt !
C'est l'augmentation de la durée de la saison des incendies entre 1979 et 2019 dans la région amazonienne
Pourquoi le dérèglement climatique empire-t-il les feux de forêts ?
Pour qu'un incendie de forêt se déclenche, il faut trois choses : du combustible (comme des arbres et de l'herbe), une source d'allumage (comme la foudre ou un feu de camp) et des conditions météorologiques propices au feu (comme un temps chaud et sec). Ces trois facteurs, souvent appelés le "triangle du feu", affectent à la fois l'apparition et le comportement des incendies, ensemble ils déterminent comment l'incendie se propage et combien il peut être dangereux. Or le dérèglement climatique affecte les trois faces de ce triangle.
Plus de combustible disponible
Des saisons pluvieuses plus longues favorisent la croissance des plantes, mais lorsqu’elles sont suivies de périodes de sécheresse prolongées et des températures plus élevées, cela entraine la mort des végétaux. Résultat : on a plus de combustible mort susceptible de brûler et rendant les parties vivantes des plantes, comme les feuilles, plus inflammables. Par exemple, une sécheresse en Amazonie a provoqué la destruction de 11% de plus de terres forestières en 2007 par rapport aux années sans sécheresse.
De plus, le dérèglement climatique encourage la prolifération de parasites et de maladies qui augmentent la mortalité des plantes et ainsi l'accumulation de combustible sec. Par exemple, aux États-Unis, il a favorisé la propagation des scolytes, des petits insectes qui s’attaquent au bois, qui ont affecté plus de 22 millions d'hectares de forêts, soit une superficie aussi grande que celle de l'Utah.
Enfin, l'expansion d'espèces non indigènes – c’est-à-dire des organismes déplacés dans de nouvelles zones situées au-delà de leur aire de répartition naturelle – qui est encouragée par le changement climatique, augmente l'accumulation de combustible, la densité et la continuité des feux. Par exemple, entre 2000 et 2015, l'extension de graminées non indigènes aux États-Unis a été associée à une augmentation allant jusqu'à 230% des incendies régionaux et jusqu'à 150% de l'occurrence des feux de forêt.
Plus de probabilités d’allumage
Les incendies de forêt peuvent être déclenchés par des causes naturelles ou par l'activité humaine (cette dernière représente près de 70% de la superficie totale brûlée dans le monde). Parmi les causes naturelles, on compte principalement les éclairs. Or, l’un des impacts du changement climatique est une augmentation du nombre d'éclairs, ce qui déclenche davantage d'incendies de forêt.
On a déjà remarqué cette connexion entre les éclairs et les départs de feu dans les forêts boréales du Canada et de l'Alaska, où les départs de feu causés par la foudre ont augmenté de 2 à 5% chaque année entre 1975 et 2014. Selon le rapport de l’OCDE, avec le changement climatique futur, on prévoit une augmentation de l'activité des éclairs dans la plupart des régions du monde, avec une fréquence d'éclairs augmentant de 50% aux États-Unis d'ici la fin du siècle. Dans l'Arctique, l'activité des éclairs devrait plus que doubler selon un scénario de forte émission de gaz à effet de serre.
Une plus grande saison des feux
Globalement, « la saison des incendies » est devenue plus longue, avec une augmentation de 27% de la durée de la saison des incendies au niveau mondial depuis 1979. Certaines régions sont plus touchées que les autres, notamment en Afrique de l'Est et du Sud, en Australie du Nord, en Asie centrale, dans la région méditerranéenne et en Amazonie.
Selon plusieurs études, les incendies de forêt en Australie en 2019-20 sont devenus graves à cause du changement climatique, qui a rendu les conditions météorologiques extrêmes 30% plus probables. De même, avant l'incendie de Fort McMurray au Canada, les conditions météorologiques extrêmes étaient jusqu'à six fois plus probables à cause du changement climatique. En Suède, le changement climatique a également contribué à des conditions météorologiques favorables aux incendies en 2018. Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour comprendre complètement le lien entre le changement climatique et les incendies de forêt, ces premières études montrent déjà clairement que le changement climatique joue un rôle majeur dans l'aggravation du risque d'incendie.
Quel impact ont les feux de forêt sur le climat ?
Mais la relation se fait dans les deux sens : l’augmentation des incendies de forêt a elle-même un impact sur le dérèglement climatique…
Les feux de forêt relâchent du CO2
Chaque année, ces incendies, qu'ils soient naturels ou contrôlés, émettent près de 8 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l'air, soit environ un quart des émissions mondiales annuelles dues à la combustion de combustibles fossiles. Normalement, lorsque ces incendies font partie du cycle naturel, la plupart des émissions de CO2 sont réabsorbées par la végétation. Cependant, les incendies de forêt extrêmes peuvent perturber cet équilibre en émettant plus de carbone qu'ils n'en absorbent. Ces émissions de gaz à effet de serre provenant des incendies de forêt aggravent donc le dérèglement climatique, ce qui à son tour augmente la fréquence, la taille et la gravité des incendies de forêt, créant ainsi un véritable cercle vicieux !
Ils endommagent les puits de carbone
Les incendies de forêt extrêmes peuvent endommager des réservoirs de carbone tels que les forêts et les tourbières (des zones humides colonisées par la végétation), ce qui diminue leur capacité à stocker le carbone et rend plus difficile la lutte contre le changement climatique. Cela se produit surtout lorsque les incendies sont trop fréquents ou intenses, empêchant ainsi la végétation de se rétablir complètement. Le problème, c’est que les incendies deviennent de plus en plus fréquents et graves dans de nombreuses régions du monde, et donc la capacité globale des écosystèmes terrestres à absorber le carbone diminue. Par exemple, après les incendies extrêmes de 1998 en Russie, plus de 2 millions d'hectares de forêt ont perdu leur capacité de stockage de carbone pour au moins un siècle !
Ils menacent le pergélisol
Les incendies de forêt de plus en plus fréquents dans les forêts boréales du Canada, de la Russie, de la Scandinavie et des États-Unis contribuent à la fonte du pergélisol. Le pergélisol – qui est le mot français pour permafrost – est un sol perpétuellement gelé, parfois depuis des millions d'années. Il stocke un tiers des réserves mondiales de carbone organique du sol, et avec sa fonte, ce carbone est susceptible d'être libéré dans l'atmosphère sans possibilité d'être réabsorbé !
Les incendies de forêt l’affectent de plusieurs manières : ils augmentant la température du sol, enlèvent la couverture végétale qui le protégeait, et le charbon laissé par les incendies assombrit la surface du pergélisol. Tous ces processus permettent à la chaleur de pénétrer plus profondément dans le sol, réduisant ainsi l'épaisseur et l'étendue spatiale du pergélisol.
Résultat : avec des incendies de forêt de plus en plus extrêmes, on pourrait très vite arriver à un point de basculement irréversible qui aurait de graves conséquences pour notre climat… et pour nous !
Par Rédaction Tilt
✏ (texte) Myriam Dahman
✏ (illustrations) Jean Jean Factory
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