Le réensauvagement,c'est quoi ?
Réensauvager le monde, c’est redonner à la nature sa juste place en la laissant se débrouiller toute seule… ou presque. Le sujet divise les experts, les écologistes, les chasseurs, les agriculteurs et même les populations locales. Tu veux savoir si demain tu partageras ton jardin avec un tigre ? On te donne la réponse dans ce tiltionnaire !
Nouveaux dinosaures ?
C’est dur à avaler, mais on y est : la planète vit sa sixième grande extinction. La dernière fois, c’était il y a 70 millions d’années, façon film catastrophe. À la fin du Crétacé, les dinosaures ont vécu une extinction de masse brutale dont les raisons sont encore débattues au sein de la communauté scientifique.
Pour cette sixième extinction, les chercheurs sont formels : nous sommes coupables. Nos activités réchauffent la planète et provoquent l’effacement d’espèces entières à une vitesse inouïe. Le journal Le Monde nous apprend qu’entre 1970 et 2018, 69 % des vertébrés sauvages ont disparu et qu’en seulement 15 ans, un tiers des oiseaux ont été rayés de la carte des campagnes françaises.
Face à ce constat dramatique, une solution a vu le jour au cours des années 1990 : le réensauvagement ou rewilding. Une approche novatrice assez particulière, que l’on a tous pu entrevoir un court instant, lorsque les animaux ont reconquis nos villes pendant les nombreux confinements liés au Covid-19 !
Born to be wild
Dans les années 1990, des activistes environnementalistes américains cherchent à aller plus loin que les actions de conservation classiques. Plutôt que d’essayer de préserver les espèces qui peuvent encore l’être, ils choisissent de reconstituer une biodiversité libre et affranchie du contrôle humain.
C’est le réensauvagement ou rewilding, un concept qui arrivera bien plus tard en Europe. Loin des étendues sauvages américaines, le rapport au sauvage est beaucoup moins évident sur le continent européen.
Pour réensauvager le monde, les actions se multiplient depuis plus de 30 ans : libérer des terres agricoles pour y laisser la biodiversité reprendre ses droits, créer des microforêts à la place des parkings, interdire la chasse et la cueillette dans certaines zones ou encore permettre aux rivières de retrouver leurs lits originels. Un programme dont l’ambition enthousiasme les foules mais suscite aussi, sans surprise, de nombreuses craintes.
Le retour du grand méchant loup ?
À l’aube du nouveau millénaire, on expérimente alors la réintroduction des grands carnivores, craints et chassés partout sur le globe depuis plus d’un siècle. Les biologistes Michael Soulé et Reed Noss affirment qu’en les invitant à se réinstaller dans certaines régions, ils permettront aux écosystèmes de se rétablir par eux-mêmes, sans l’aide des humains.
Les scientifiques décident de mettre leur théorie en pratique dans le célèbre parc national de Yellowstone où la prolifération des grands herbivores met l’écosystème du parc en péril. En l’absence de loups, exterminés au début du XXe siècle, les cerfs, les chevreuils ou les sangliers ont le champ libre et dévorent la végétation. Plus de 41 canidés sont donc engagés pour rétablir l’équilibre : le succès est sans appel.
L’exemple a ses limites : difficile d’appliquer ce cas de figure au reste de la planète. En France, la réintroduction du loup ou de l’ours va provoquer de vives tensions entre les éleveurs et l’Office français de la biodiversité (OFB). Dans une Europe où la nature est domestiquée depuis longtemps, l’équilibre n’est pas le même et le défi est bien différent.
Renforcer nos écosystèmes
Si les divisions sont si grandes, pourquoi réensauvager à tout prix ? À terme, pour les tenants du rewilding, cela pourrait permettre de recréer des écosystèmes autonomes et résilients, plus à même de survivre au changement climatique.
« Les écosystèmes réensauvagés devraient – dans la mesure du possible – être autosuffisants et ne nécessiter aucune intervention ou une intervention minimale. »
Steve Carver, géographe et professeur à l'université de Leeds
En Nouvelle-Calédonie par exemple, restaurer les écosystèmes de l’île pose de nombreuses questions. Complètement transformée par la domestication, la colonisation et l’introduction de nouvelles espèces, la biodiversité de la Nouvelle-Calédonie est incapable de résister aux Espèces Exotiques Envahissantes. Pour réensauvager les forêts sèches, il est nécessaire de couper des arbres et d’éradiquer plusieurs espèces introduites par l’humain, puis de veiller au maintien de l’équilibre pendant plusieurs décennies…
Une mise en pratique pas vraiment sauvage, qui interroge et fait naître plusieurs critiques contre le concept de réensauvagement partout sur le globe. Ses définitions et ses applications semblent beaucoup trop diverses et contradictoires.
Lutter pour la biodiversité ou masquer les causes de l'extinction
Aujourd’hui, le concept de réensauvagement est victime de son succès. Retrouver un état sauvage pré-humain, laisser libre cours à l’émancipation des écosystèmes sauvages, créer des espaces sauvages contrôlés : que désigne-t-il vraiment ? Du milieu de la recherche à celui de la politique, personne n’a la même réponse.
Pire, le concept fait l’objet de critiques sur son utilité véritable pour faire face à l’extinction des espèces. Le retour d’une espèce sauvage disparue dans son écosystème est symboliquement fort, mais parfois sans effets, quitte à servir des opérations de greenwashing. De nombreux projets industriels font ainsi appel au réensauvagement pour « compenser » leurs émissions.
« Le terme contient le pire et le meilleur. Le meilleur, c’est la possibilité d’une bonne nouvelle : le retour du sauvage. Le pire, c’est un subterfuge : un détour par le sauvage, mais qui ne changerait fondamentalement rien au régime de destruction dans lequel nous sommes. »
Vincent Devictor, biologiste et philosophe, directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier
L’humain doit-il être partout en harmonie avec la nature ? Doit-on sanctuariser ou accueillir le sauvage ? La réponse à l’extinction se trouve-t-elle dans l’autonomie des écosystèmes ou au contraire dans leur maîtrise ? Le réensauvagement ne va pas de soi, mais il a le mérite de mettre ces questions sur la table. En fait, on ne parle pas d’un tigre dans le jardin, mais plutôt d’un éléphant dans la pièce !
Par Rédaction Tilt
Sources :
- Réensauvager le monde pour préserver la biodiversité, une idée controversée qui gagne du terrain
- Réensauvagement en Europe : ces territoires rendus à la nature
- Fondements pour une géographie plus qu’humaine du rewilding : revue de littérature et proposition de définition
- Le Réensauvagement, promesse de notre réconciliation avec la nature ?
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