
Quelle est la fonction
d'un tiers-lieu ?
Antoine Burret
Un tiers-lieu, c’est ce lieu simple et familier où se tissent des liens informels — cafés, bibliothèques, bancs publics... Bref, c’est là où la magie sociale opère. Antoine Burret, sociologue spécialiste des tiers-lieux, explore leur histoire et leur diversité à travers le monde. Et spoiler : ce n’est pas juste une tendance hipster, ces espaces sont de véritables infrastructures sociales, indispensables pour lutter contre la polarisation, favoriser la solidarité, et nourrir le débat démocratique. Mais les tiers-lieux sont aussi fragiles, confrontés aux transformations économiques et sociales. Leur survie dépend d’un engagement collectif : les fréquenter, les soutenir, les faire vivre.
C’est quoi un tiers-lieu ?
Un tiers-lieu, c'est un lieu de sociabilité informelle. Il y a des centaines de tiers-lieux un peu partout et presque chacun de nous a un tiers-lieu, soit on le fréquente, soit on le fréquente pas. Ça peut être, dans la culture européenne, un café, un bistrot, un pub. Mais si on se déplace dans d'autres pays, les lieux de boisson ne sont pas forcément des tiers-lieux. Si je vais à Cuba, à La Havane, c'est la queue devant les glaciers, parce que c'est là où les gens se rencontrent. Si l'on va en Égypte, le tiers-lieu principal d’Alexandrie, c'est la corniche qui est à côté de la bibliothèque d'Alexandrie.
Depuis quand existent-ils ?
Alors j'ai essayé de faire une histoire des tiers-lieux, — là où je suis remonté le plus loin, c'est le moment où on a entretenu le feu. ça a changé les sociabilités : les gens sont restés l'hiver ensemble, la nuit est devenue plus grande, etc.
Donc on peut créer une histoire des tiers-lieux qui est très, très vaste, et qui est aussi vieille que l’humanité. Par commodité, et puis aussi par rapport à notre culture, on peut se dire que les tiers-lieux en Europe ont pris une importance fondamentale en même temps que l'arrivée des cafés, c'est-à-dire au XVIᵉ siècle, XVIIᵉ-XVIᵉ siècle. C'est là qu'il y a une culture du café, qui est une culture de la rencontre libre où chacun pouvait se réunir quotidiennement et puis commencer à discuter, surtout de sujets politiques.
Quelles sont les fonctions d’un tiers-lieu ?
Il y en a deux : c'est le collectif, lutter contre la solitude, créer du lien social, réduire certaines maladies. Il y a plein d'études qui montrent que là où il y a du lien social, les gens vont mieux. Et puis ça crée de la solidarité. Pendant les situations de crise, par exemple, les tiers-lieux ont une importance majeure, on l'a vu par exemple avec le Covid. Et qu'est-ce qui nous a manqué le plus ? C'était nos tiers-lieux.
Puis la deuxième, c’est un aspect qui est plus politique, c'est la capacité de se rencontrer entre pôles opposés, de discuter et puis de refaire société ensemble. Un des grands sujets actuellement, c'est la polarisation. Pour moi, les tiers-lieux, ce sont les espaces médians, ce sont les espaces où, effectivement, des personnes opposées vont apprendre à vivre ensemble, vont apprendre à ne pas être d'accord, et à être d’accord de ne pas être d'accord. Si on sort de ça, on est des lieux militants et ça — ça a de la valeur les lieux militants. Mais il me semble que le tiers-lieu, c’est un lieu médian, il est là pour assouplir.
Est-ce que les tiers-lieux sont menacés ?
Il y a une réduction drastique du nombre de cafés, de lieux de rencontre, à l'échelle de la France. Les statistiques parlent de 600 000 dans les années 60, à 60 000 maintenant. C'est quand même une réduction qui est importante. Ensuite, on peut le prendre d’un autre angle. Dans l’Histoire, les tiers-lieux ont souvent subi des pressions, et étaient contraints à fermer, lorsqu'on voulait s'attaquer à certaines communautés.
Lorsque l'on veut s'attaquer à une communauté, le plus simple, c'est de s'attaquer à son tiers-lieu. Fermer un tiers-lieu, c'est contraindre une communauté. Si on prend l'exemple des communautés LGBTQ+, dans les années 70 à San Francisco : on fermait leurs clubs, là où ils se rencontraient, et soudainement, les communautés se délitaient.
De la même manière dans beaucoup de pays totalitaires, historiquement, les lieux tels que les cafés ou les brasseries à un moment donné, sont interdits parce qu'on ne veut pas que les personnes se rencontrent.
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Par Rédaction Tilt
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Société
Les tiers-lieux, c'est quoi ?
