
Comment penser le queer
en dehors de l'Occident ?
Sandeep Bakshi
Et si on pensait le queer en dehors du prisme occidental ? Bien avant que le mot “queer” ne voit le jour dans les théories critiques anglophones, des formes de vie, d’amour et de genre non normatives existaient déjà partout dans le monde : hijras en Inde, fa'afafine aux Samoa… Autant d’identités qui échappent aux normes binaires et hétérocentrées.
La queerness, ou "queeritude" en français, désigne justement ces expériences qui ne rentrent pas dans les cadres dominants du genre et de la sexualité. Dans cette interview avec Sandeep Bakshi, enseignant-chercheur à l’Université Paris Cité, on explore la queerness non-occidentale. Une invitation à sortir des catégories figées et à questionner les héritages coloniaux
Tilt – Qu’est-ce que la queerness ?
Sandeep Bakshi : La queerness, c'est tout simplement l'anti-norme. Donc ce qu'on appelle l'anti-normativité au niveau du sexe, du genre et de la sexualité. C’est donc quelque chose qui n'est pas dans la norme, la norme étant évidemment l'hétérosexualité. [Dans cette norme], un homme est fait pour une femme et quand quelqu'un est né avec une telle sexuation, c'est un garçon ou avec une autre sexuation, [on dira que] c'est une fille. Alors que dans la queerness, il n’y a pas de corrélation entre le sexe et le genre, c'est deux choses différentes. Donc c'est l'anti-normativité.
Tilt – Comment l’Occident a-t-il imposé ses normes sociales aux personnes queer ?
Sandeep Bakshi : C'est le Nord global qui décide ce qui est queer et on va oublier ce que le Sud global fait en termes de queerness. On va avoir le coming out qui est devenu un trope* (*cliché) très important, [selon lequel] tout le monde doit faire son coming out.
Deuxièmement, il y a une certaine façon de visibiliser les luttes. Troisièmement, il y a aussi l'homoparentalité. Maintenant, on sait qu'il y a le mariage de personnes de même sexe, l’adoption, etc. Donc on est en train d'aller vers de plus en plus de normes, et plus particulièrement vers une hétéronorme : avec papa, maman, un chien et une maison. C’est ce qu'on appelle dans les études trans une vie scriptée. Alors que le queer, qui est complètement anti-normatif n'est pas intéressé par ça. Le queer n'est pas une identité, mais c'est plutôt une façon de faire des choses ou une grille de lecture. Et c'est politique quand il s'agit des droits.
Je vais vous donner un exemple sur les identités minorisées queer aux États-Unis par le biais des travaux de Jasbir Puar, sur l'ascendance de la blanchité, « Ascendency of whiteness ». Donc, [Jasbir Puar] dit que ce qui se passe pour les personnes non-blanches, notamment musulmanes, aux États-Unis et dans le Nord global, d'une manière générale, c’est qu’elles sont obligées d'accepter les codes de la société blanche pour prouver qu'elles sont homosexuelles. [Elles doivent] boire certains cocktails, aller sur certains réseaux sociaux, s'habiller d'une certaine façon, c'est-à-dire tous les mœurs qu'on peut avoir dans une communauté et il faut les suivre. Si on est à la marge, on est forcément considéré comme étant hétérosexuel.
Tilt – Quel rôle peut jouer le langage dans la déconstruction de ces stéréotypes ?
Sandeep Bakshi : Des chercheurs ont trouvé qu'en anglais, on a deux genres, voire trois genres ou on peut avoir quatre genres [dans cette langue]. Alors que dans les langues autochtones, il pouvait y avoir jusqu'à 52 genres, 52 façons d'exprimer son genre. Pour la déconstruction, on doit prendre le savoir où il est. C’est-à-dire chez les peuples autochtones qui ont subi la violence mais qui ont résisté et qui sont toujours là, et qu'on a à apprendre d'eux. [Ça nous permet de] savoir qu'il peut y avoir différentes façons d'exister. Et ce n'est pas parce qu'on a juste homme-femme dans un certain pays ou dans un autre, qu'on doit imposer ce modèle partout. On voit bien que c'est problématique. Bien que cela ne veuille pas dire que tout ce qui était précolonial était l'âge d'or. Ce n'est pas vrai. Il y a des avancées et je pense qu'on est tous au courant de comment la langue, qui véhicule la culture et le savoir, est en train de changer. La langue française, par exemple, est en train de complètement changer parce qu'on utilise beaucoup l’écriture inclusive.
Par Rédaction Tilt
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