
L'homonationalisme,
c'est quoi ?
« Nos minorités sexuelles sont libres, les vôtres sont opprimées ». Tu as déjà entendu ce type de commentaire ? Ils s’inscrivent dans une rhétorique dite « homonationaliste ». Théorisé par Jasbir Puar, l’homonationalisme désigne l’instrumentalisation des droits LGBTQIA+ par des États ou des mouvements nationalistes pour justifier de politiques racistes, islamophobes et xénophobes, en opposant un "Nous" supposément tolérant à un "Eux" perçu comme archaïque ou intolérant.
L’instrumentalisation des luttes LGBTQIA+ à des fins racistes
Le concept d’homonationalisme a été introduit en 2007 par la théoricienne queer Jasbir Puar. Elle met en lumière une stratégie politique pernicieuse : utiliser les avancées en matière de droits LGBTQIA+ pour affirmer la supériorité morale d’un pays ou d’un groupe ethnique, en contraste avec un « autre » culturellement perçu comme arriéré ou dangereux.
Pour Puar, dans le contexte post 11 septembre, marqué par la guerre de Bush contre « l’Axe du mal », les revendications LGBTQIA+ sont instrumentalisées par les Etats-Unis, pour dépeindre les pays musulmans comme intrinsèquement homophobes et misogynes tout en se présentant comme éminemment tolérant.
L’homonationalisme repose sur l’homonormativité (Lisa Duggan), à savoir, l’inclusion sociale d’une partie des LGBTQIA+, jugée comme « respectable » — blanche et qui adopte les codes de l’hétérosexualité (mariage, parentalité, entre autres).
Il se manifeste notamment dans les discours anti-immigration, où certains partis d’extrême droite — historiquement hostiles aux droits LGBTQ+ — se présentent aujourd’hui comme défenseurs des « valeurs occidentales », y compris la tolérance envers certaines minorités sexuelles, à des fins racistes et islamophobes.
Ainsi, dans son essai, La rébellion s’est-elle tournée vers la droite ?, Pablo Stefanoni, cite notamment l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), dont la codirigeante Alice Weidel est publiquement lesbienne et affirme que son engagement politique vise à protéger son mode de vie, qu'elle considère menacé par l'immigration et l’Islam.
Le pinkwashing, une forme d’homonationalisme
Le pinkwashing, est l’une des formes les plus visibles de l’homonationalisme. Ce terme désigne la manière dont des gouvernements ou des entreprises utilisent leur soutien apparent aux droits LGBTQIA+ pour masquer des pratiques oppressives ou détourner l’attention d’autres violations des droits humains.
Par exemple, certains États accordent le droit d’asile aux réfugiés LGBTQIA+, tout en adoptant une politique migratoire globalement répressive ; d’autres mobilisent les questions de genre et de sexualité pour justifier leurs ingérences et interventions militaires.
A ce titre, l’image d’un soldat israélien plantant un drapeau LGBTQIA+ au milieu des ruines à Gaza, accompagné d’un tweet du scénariste Lee Kern indiquant « The first ever Pride flag raised in Gaza », a fait le tour du monde sur les réseaux sociaux fin 2023. Plusieurs collectifs queer ont dénoncé cette photographie qui semble présenter Israël comme seul défenseur des droits LGBTQIA+ dans la région et légitimer son intervention militaire à Gaza.
Les limites du concept d’homonationalisme
Le concept d’homonationalisme n’est pas exempt de critiques dans le monde académique.
S’il est particulièrement éclairant pour questionner certains discours et actions politiques, il est parfois jugé trop manichéen et réducteur. Défendre une nette distinction entre l’Occident et les pays des Suds, peut conduire à omettre l’existence de luttes queer intersectionnelles, d’alliances antiracistes, et de mouvements transnationaux qui échappent à la logique homonationaliste et contestent activement le pinkwashing.
Ce concept peut également mener à l’inaction et à l’immobilisme car si tout soutien institutionnel à une lutte sociale ou un groupe minorisé est suspecté d’être instrumentalisé, comment avancer concrètement dans la conquête de droits ? La question se pose d’autant plus, qu’il est crucial de reconnaitre et de dénoncer le fait que de nombreux Etats bafouent les droits des populations LGBTQIA+, voire criminalisent l’homosexualité, avec des sanctions allant parfois jusqu’à la peine de mort.
Ainsi, combattre l’homonationalisme ne devrait pas consister à renoncer à la défense des droits LGBTQIA+, mais plutôt à repenser dans quel but, comment et avec qui on les défend. Il s’agit de refuser que ces droits soient instrumentalisés pour justifier des guerres, des politiques racistes et discours islamophobes.
Ce concept invite d’une part, les mouvements queer et associations LGBTQIA+ des pays occidentaux à repenser leurs luttes pour plus d’intersectionnalité, en se demandant notamment : où sont les queers of color ? Où sont les bisexuel.les ? Pourquoi les trans sont invisibilisés ? Qui a les ressources et le temps pour militer ? Comment reconnaitre et valoriser des identités sexuelles et de genre non-occidentales ?
Et d’autre part, il appelle les acteurs du développement (banques de développement, organisations internationales, institutions onusiennes), à travailler en partenariat avec des associations LGBTQIA+ des Suds, en prise avec le contexte dans lequel elles évoluent, comme l’ISDAO, et à soutenir des luttes qui articulent les droits LGBTQIA+ avec d’autres enjeux, notamment décoloniaux et antiracistes, de justice sociale et climatique, ou en faveur de droits économiques.
L’homonationalisme est le processus par lequel certains sujets homosexuels sont acceptés dans l’État-nation, souvent en contraste avec d’autres perçus comme déviants sexuellement et racialement — en particulier les musulmans — présentés comme homophobes et non civilisés.
Jasbir Puar, Théoricienne queer et autrice de Terrorist assemblages, 2007
Par Annabelle Legendart
Ouvrages :
- Jasbir P. (2007). Terrorist Assemblages. Homonationalism in Queer Times. Durham et Londres : Duke University Press.
- Stefanoni, P. (2022). La rébellion est elle passée à droite ? Dans le laboratoire mondial des contre cultures néoréactionnaires (1ʳᵉ éd., Collection Nouveaux cahiers libres). Paris : La Découverte.
Articles de presse :
- Le nouveau nationalisme est-il gay ?
Articles universitaires :
- Rebucini, G. (2013). Homonationalisme et impérialisme sexuel : politiques néolibérales de l'hégémonie. Raisons politiques, 49(1), 75-93. https://doi.org/10.3917/rai.049.0075
- Bakshi, S. (2024) Queeritude décoloniale : quels enjeux, quelles possibilités ?. Genre, sexualité & société, 31 | Printemps 2024. http://journals.openedition.org/gss/8587
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