roseaux dans le vent

Comment sortir du culte
de la performance ?
Olivier Hamant

Rédaction Tilt le 20/05/2025

5 min de lecture 🧠   Niveau « Je me débrouille »

Et si on arrêtait de courir après la performance pour miser sur la robustesse ? Le biologiste Olivier Hamant alerte : le culte de l’ultra-performance de nos sociétés conduit au burn-out généralisé des êtres humains et des écosystèmes. La nature, elle, fonctionne bien différemment en privilégiant la robustesse – cette capacité à résister, coopérer et s’adapter malgré les différentes crises. Face aux défis environnementaux et sociaux qui s’amplifient, il devient urgent de changer de paradigme. 

Et si, au lieu de produire et de consommer toujours plus, nous apprenions à construire des systèmes capables de s’adapter, de coopérer et de se régénérer sur le long terme ? Comment penser une société qui valorise la robustesse ? On a interviewé Olivier Hamant sur le sujet !

Tilt - Qu'est-ce que la performance et en quoi ce modèle de société n'est-il pas viable ?

Olivier Hamant : La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. L'efficacité c'est atteindre son objectif, l'efficience c'est avec le moins de moyens possible. Donc quand on est performant, on se canalise. Il y a un adage zen qui le dit très bien : celui qui a atteint son objectif a manqué tous les autres. C'est une voie extractiviste, finalement. Enfin, on va essayer d’aller très, très loin, très, très vite, mais on oublie qu'il y a d'autres chemins. Dans notre monde actuel, c'est ça qu'on veut faire. L'intelligence artificielle, par exemple, c'est exactement ça. On veut d'abord arriver encore plus vite à produire des services, etc. Sans se poser la question de, mais, est-ce qu’il n'y aurait pas d'autres chemins pour faire la même chose ?

Quand on est dans une culture de la performance, on est dans une culture de la compétition. Dans une compétition, ceux qui gagnent, ce sont toujours les plus violents. Une culture de la performance, c'est une culture de la violence. Donc c'est pour ça qu'elle pose problème, la performance, c'est qu'on est allé tellement loin dans l'ultra-performance qu'on est en train de générer un burn-out des humains et des écosystèmes.

Qu'est-ce que la robustesse et pourquoi est-ce une alternative au modèle de la performance ?

O.H. : La robustesse, c'est maintenir le système stable malgré les fluctuations. Un exemple, c’est le roseau dans le vent. Le roseau dans le vent, il est stable malgré les fluctuations et à plus long terme, c'est maintenir le système viable malgré les fluctuations. Donc le roseau, il grandit, se déforme, il change de forme, mais il est capable de gérer des changements de salinité, d'eau, de température.

La robustesse, ça répond aussi à une pulsion humaine profonde qui est celle de durer et de transmettre. Les êtres vivants, ils sont robustes avant d'être performants.
On la trouve dans le vivant. Les êtres vivants, c'est un livre ouvert de robustesse. Et puis, la robustesse, on la trouve dans tous les systèmes. C'est ça qui est extraordinaire, c’est que le vivant n'est juste qu’une incarnation de la robustesse, mais on peut les trouver dans des systèmes techniques, par exemple.

Comment basculer de la performance à la robustesse ? 

O.H. : Il y a des domaines qui sont plus ou moins en avance sur la bascule de la performance à la robustesse. Je pense à l'agriculture, par exemple. En Amérique du Sud l’agroécologie a décollé dans les années 80.  Et après, ça s'est déployé un peu partout. L'agroécologie, c'est l'exemple type d'un système qui est robuste parce qu'il est moins performant.

Quand on fait de l'agroécologie, on ne vise pas le rendement maximal, on vise le rendement stable. Donc ça veut dire qu'on va plutôt jouer sur la biodiversité cultivée pour remplacer toutes les externalités négatives, les engrais, les pesticides, tout ça, par la biodiversité cultivée. On va garder l'eau avec l'hygrométrie de son sol, avec la biomasse qui est stockée dedans et ça, ça rend les parcelles agricoles robustes.

Un autre exemple, c'est le tout réparable. Aujourd'hui, il n'y a plus une seule entreprise qui ne se pose pas la question de la réparabilité de ses produits.
Ça, c'est plutôt de la robustesse, parce que quand on fait des objets réparables, ils sont plus gros, ils ne sont pas forcément très sobres d'ailleurs. Enfin, ils ne sont pas complètement optimisés, mais par contre, vu qu'ils sont réparables, ils vont durer et on va pouvoir les transmettre.

Pourquoi est-il urgent de changer de paradigme ?

O.H : Là, on est dans un moment de bascule d'un monde qui a été drogué à la performance pendant des décennies, voire même des siècles. Et là, on va quitter ce monde-là parce que notre environnement va devenir très fluctuant. On rentre dans le monde des ruptures, les mégafeux, les méga-inondations, mais aussi les remous sociaux, les crises géopolitiques. On est dans la polycrise. Dans ce monde-là, on va faire de plus en plus de robustesse. Donc on pourrait se dire, bon, il y a juste besoin d'attendre, les fluctuations vont faire que les sociétés vont basculer du mode performant au mode robuste.

Le problème, c'est que si on laisse faire, il y aura beaucoup de casse. Donc le rôle du politique, des instances publiques, c'est d'accompagner ce basculement en devançant l'appel, en étant devant la loi, pas hors la loi, mais devant la loi. 

Il y a un grand mouvement de masse partout dans le monde. En Amérique du Sud, c'est le buen vivir, en Inde, c’est le swaraj, en Chine, c'est le tangping, il y a l'ubuntu en Afrique. Tous ces mouvements, ce sont des mouvements qui mettent d'abord en avant le lien, les interactions humaines, au service de la robustesse du groupe. La population est en train de développer des nouveaux modes d'interactions plutôt en interaction, au service de la robustesse. Et les instances publiques sont en train de commencer à l'écouter, et à le stimuler. On est dans un moment vraiment intéressant de basculement.

MasterTilt, c’est quoi ?

 MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.

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Par Rédaction Tilt

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