
Woman : Hommes, femmes, à rang égal
En 1996, avec son titre Woman, Neneh Cherry ose défier le dieu James Brown en faisant une relecture féministe de son tube It’s a man’s man’s man’s world. En rappelant aux hommes que les femmes font partie du même monde et qu’elles y ont toute leur place, elle prévient ces messieurs qu’elles n’acceptent plus d’être invisibilisées.
Un flow contre les machos
Fin des années 80. Neneh Cherry est une pépite inclassable de la scène underground. Née en Suède en 1964 d’un père percussionniste africain et d’une mère peintre et chanteuse suédoise, la musicienne plaque les cours et déménage à Londres. Sur place, elle se plonge dans la scène post-punk et collabore avec divers groupes dont la formation avant-gardiste The Slits. La jeune artiste se cherche, elle papillonne, fraie dans le punk, le jazz, la soul et le rap. Pas facile de se faire un nom quand on est la belle-fille du célèbre trompettiste de free jazz américain Don Cherry. Compliqué de s’imposer dans le « rap game » quand on est une femme au début des années 90, les « female MC » étant souvent cornaquées par des hommes et moquées en coulisses. Neneh ne se cache pas : dans son premier album, Raw like sushi (1989), qui se vend à plus de 2,5 millions d’exemplaires, elle épingle aussi bien les machos que les filles superficielles. Atteinte de la maladie de Lyme, elle met sa carrière entre parenthèses jusqu’en 1992. Quatre ans plus tard, Neneh Cherry sort ses deux plus grands succès (Seven seconds en duo avec Youssou N’Dour et Woman) dans son troisième album, Man. Cet Homme va marquer les esprits. Les mâles, eux, vont devoir revoir sa copie, sous les déchirures vocales de la soul sister.

Résilience
En 1966, dans son titre It’s a man’s man’s man’s world, James Brown martèle que le monde a été modelé par les hommes : ils ont construit les voitures, les trains, les jouets pour rendre heureux les enfants, les bateaux (« comme Noé a créé l’arche »), inventé la lumière électrique. Mais dans ce monde, l’homme ne serait rien « sans une femme ou une fille ». Un hommage pour le moins condescendant. D’autant qu’à la fin de son refrain, le « Parrain de la soul » répète trois fois d’affilée : « C’est un monde d’hommes, d’hommes, d’hommes. »
Trente ans plus tard, Neneh lui apporte la contradiction : non, « il n’y a pas de femme dans ce monde, femme ou petite fille / Qui ne puisse faire naître l’amour dans un monde d’hommes ».
Des violons solennels ouvrent le morceau. Une guitare cinglante et une batterie syncopée rythment le premier couplet, slow tempo. « C’est un monde de femme / C’est mon monde », clame Neneh de son timbre éraillé. Les chœurs martèlent « Woman » à chaque fin de phrase, tel un écho aux voix de toutes les femmes. Durant son solo, la guitare électrique joue sur les dissonances, illustrant la condition bancale, précaire, voire niée des femmes dans la société patriarcale.
Ses couplets sont plus incisifs, la chanteuse déaillant à James Brown ce que signifie être une femme au XXe siècle. Brown focalise sur les hommes ? Cherry les remplace par des femmes et met en lumière leur résilience. Dans son clip, Neneh apparaît de dos, assise et la nuque cassée, avant de se lever et de se tourner face caméra. L’air de dire : « Les gars, vous allez devoir compter avec nous ».

Une sorcière comme les autres
D’emblée, la chanteuse dresse un constat accablant : « Je suis le genre de femme qui a été construite pour durer / Ils ont essayé de m’effacer, ils n’ont pas pu effacer mon passé (…) Et mon sang coule en chaque homme / Dans cette terre impie qui m’a délivrée / J’ai pleuré tellement de larmes que même les aveugles peuvent les voir ».
Deuxième couplet, elle durcit le ton : « Et pour mon esprit de guérisseuse, on m’a traitée de sorcière ». Comme Anne Sylvestre dans sa charge féministe Une sorcière comme les autres, la chanteuse convoque cette figure indépendante qui, de tout temps, a fait peur aux hommes par sa liberté. Elle aussi a « crépité dans le feu». Mais, conclut-elle, « je suis morte tellement de fois, je viens juste de renaître ».
Troisième couplet, la chanteuse rappelle que son « sang coule en chaque homme et en chaque enfant ». Que les femmes donnent la vie, y compris à ceux qui les prennent. Son clip met en scène deux hommes qui se battent, un inconnu prenant la défense d’une femme battue. Elle n’est pas représentée à l’image, elle n’existe plus. Aux yeux de Neneh Cherry, le combat ne passera pas par une guerre des sexes, mais par un dialogue pacifié : plutôt que d’accabler les hommes, elle les invite à se déconstruire.
Par Benoît Merlin
À visionner : www.youtube.com/watch?v=pAYSAYg9kPI
Copyright des photographies :
- photographie 1 : ®JB Mondino/Universal
- photographie 2 : ®JB Mondino/Universal
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