Zoom sur le trafic des espèces sauvages
Comité français de l’UICN x Tilt le 30/11/2022
7 min de lecture 🧠 Niveau « Je me débrouille »
La surexploitation d’espèces sauvages figure parmi les principales menaces pour la biodiversité, touchant des milliers d’espèces animales et végétales classées dans la Liste rouge mondiale des espèces menacées de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Point d’entrée majeur dans l’Union européenne et pays de transit entre l’Afrique et l’Asie pour le commerce illégal d’espèces sauvages, la France a une responsabilité essentielle dans la lutte contre le trafic international. On t’explique tout ça avec le Comité français de l’UICN !
Le trafic des espèces sauvages est un énorme problème, non seulement à l'échelle mondiale mais aussi en France. Ce commerce illégal, pourvoyeur d'animaux de compagnie ou de produits dérivés issus d'espèces protégées (venin, viande, bois, dents, os, sève etc.), est un véritable fléau pour la biodiversité mais représente aussi de nombreux risques pour les sociétés humaines, que ce soit au niveau de la santé, de la sécurité ou de l’environnement. Pour autant, son impact est souvent sous-estimé.
Trois faits marquants sur le trafic des espèces sauvages
C’est le troisième trafic le plus lucratif
En réalité, le trafic d’espèces sauvages constitue aujourd’hui l’une des activités criminelles transnationales les plus lucratives au monde. Il représente en effet jusqu’à 23 milliards d’euros par an. Il est souvent lié à d’autres activités illicites (comme par exemple le blanchiment d’argent ou la corruption) et alimente parfois même des groupes armés ou des réseaux terroristes.
Le commerce illégal d’espèces sauvages peut prendre la forme d’une véritable criminalité organisée, qui ébranle les efforts de conservation, la sécurité et l’économie de nombreux pays. L’une des limites pour lutter contre ce trafic est la faiblesse des sanctions qui apparaissent peu dissuasives, notamment quand on les compare à celles pouvant être appliquées pour le trafic de drogues ou d’armes.
Ça se passe aussi en France
On pourrait croire que le trafic d’espèces sauvages ça se passe très loin, dans des forêts inaccessibles et oubliées. Mais ce n’est pas le cas ! Déjà, avec le territoire de métropole et les 12 territoires d’Outre-mer, la France est une véritable réserve d’espèces. Elle est donc un pays source de plantes et d’animaux qui peuvent susciter l’intérêt des trafiquants. Or, nombre de ces espèces sont aujourd’hui menacées : la France héberge 1 983 espèces sauvages mondialement menacées. Elle est dans le top 10 des pays qui en hébergent le plus grand nombre.
Mais c’est aussi l’un des principaux pays importateurs de produits issus d’espèces sauvages destinés au marché européen, et l’un des principaux points de sortie pour les (ré)exportations vers des pays tiers à l’Union Européenne. Pour l’année 2021 et pour le seul terminal 2 de Roissy Charles de Gaulle, 36 tonnes de produits illégaux issus d’espèces sauvages ont été saisies, dont 17 tonnes d’espèces animales.
Cela s’explique en partie car c’est le pays de destination et de transit de nombreux vols internationaux notamment originaires de l’Afrique francophone. Les moyens actuels ne sont pas suffisants pour lutter contre ce trafic. Dans ce terminal par exemple, il n’y a que 20 agents des douanes pour plus de de 24 000 passagers par jour. Toujours selon le rapport du Comité français de l’UICN, les saisies ne doivent probablement représenter que 10% des denrées illégales.
Le rôle des réseaux sociaux
En plus d’être utilisés par les trafiquants comme moyen de diffusion des annonces de leurs marchandises, facilitant énormément les prises de contact entre acheteurs et vendeurs, les réseaux sociaux sont aussi un lieu de promotion du trafic d’espèces sauvages. En effet, de nombreux consommateurs ne vont pas hésiter à s’exposer sur les réseaux avec leurs achats, ce qui peut attiser l’envie d’autres personnes et ainsi encourager la demande en espèces sauvages issues du trafic. De nombreux « influenceurs » s’exposent en photo avec des félins, des ouistitis, des reptiles, des perroquets ou des écureuils du Japon. Les chiens et chats, c’est commun, mais il suffit de se promener avec un tamarin empereur, pour attirer tous les regards et collectionner les “likes”.
Les espèces exotiques deviennent parfois un symbole de richesse et de réussite sociale. Pourtant, ces animaux sont souvent issus de commerces illicites, provenant d'élevages illégaux ou capturés dans la nature. Et le nombre de cas explose. La Coalition pour mettre fin au trafic d’espèces sauvages en ligne signalait, en 2021, avoir supprimé ou bloqué plus de 11,6 millions d’annonces portant sur des espèces en danger et leurs produits dérivés dans le monde.
Ces dernières années, le trafic des espèces sauvages a pu progresser en utilisant la vente en ligne, moyen de toucher un public plus large et plus anonyme tout en surfant sur l’ignorance de la législation. Les réseaux sociaux notamment servent de plateforme pour le commerce illégal.
Comment agir ?
Renforcer les contrôles et les sanctions
Les agents des douanes présents dans les ports et aéroports sont en première ligne. À eux seuls, ils ont réalisé près d’un quart des saisies effectuées sur le territoire français entre 2008 et 2017. Mais leurs équipes sont très réduites. Il faut donc renforcer les moyens et les capacités des services de contrôle, ce qui passe entre autres par l’augmentation du budget affecté aux missions des services douaniers aéroportuaires, et par la formation de chiens de la brigade cynotechnique des aéroports à détecter les principales espèces sauvages transportées. Il est également important de mieux coordonner l’action territoriale.
Il faut par ailleurs augmenter les sanctions pour rendre ce trafic plus risqué et moins attractif : actuellement, les trafiquants d’espèces sauvages risquent une peine de 3 ans d’emprisonnement et une amende de 150 000 euros. En comparaison, les personnes qui font du trafic de stupéfiants risquent 10 ans d’emprisonnement et 7 500 000 euros d’amende. C’est un peu comme si on hiérarchisait ces différents trafics. Les trafiquants d'animaux sauvages ne sont pas encore perçus comme un réel danger pour la société et la planète. Le résultat, c’est que ça en fait une activité illégale moins risquée pour les trafiquants, alors qu’elle peut rapporter autant que le trafic de drogue.
Soutenir les structures d’accueil des animaux saisis
Que fait-on des animaux saisis ? On pourrait penser qu’il suffit de les relâcher dans leur milieu naturel, mais les choses sont souvent plus compliquées. D’une, parce que la procédure judiciaire peut prendre plusieurs mois, voire des années, et qu’il faut donc trouver, a minima, une solution temporaire. Ensuite, il est parfois très difficile de savoir d’où provient exactement l’animal. Les trajets effectués par les trafiquants sont souvent obscurs, on n’a pas toujours accès à cette information.
Et même quand on connait le lieu de capture, renvoyer l’animal n’est pas toujours la meilleure solution. Déjà, il existe un risque non négligeable qu’il se fasse braconner une seconde fois. De plus, l’animal a peut-être été exposé à des maladies pendant son voyage, et le renvoyer reviendrait à mettre en danger la santé de la faune ou de la flore de son milieu naturel. Enfin, beaucoup d’animaux arrivent dans un état de santé physique et psychologique tellement dégradé (épuisés par le trajet souvent effectué dans des conditions très mauvaises) qu’un nouveau voyage pourrait tout simplement les tuer. Certains animaux rescapés devront même recevoir des soins adaptés tout au long de leur vie.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel d’améliorer le soutien financier aux structures d’accueil des animaux saisis ou confisqués. Aujourd’hui encore, la charge financière de la garde des animaux vivants saisis ou confisqués pèse sur des établissements d’accueil, qui doivent débourser des sommes importantes pour remplir une mission d’intérêt général (identification de l’animal, transport, mise en quarantaine, nourriture, soins…). Il est important de débloquer des fonds pour leur donner les moyens d’accueillir les animaux dans de bonnes conditions, et créer des structures supplémentaires spécialisées.
Alerter et sensibiliser le public
Comme pour n’importe quel trafic, le grand défi est aussi la demande. L’une des raisons pour lesquelles les auteurs du trafic d’espèces sauvages sont prêts à prendre des risques importants s’explique par le fait qu’il y a une forte demande, et donc l’occasion de réaliser des gains importants face aux faibles risques encourus. Il faut donc cibler les potentiels acheteurs pour les informer, d’une part, des conséquences du trafic d’espèces sauvages sur la biodiversité, le bien-être animal, la sécurité et la santé humaine et, d’autre part, sur les risques qu’ils encourent à la suite de tels achats.
Plus largement, c’est l’ensemble de la société qui doit être sensibilisée et responsabilisée, en faisant prendre conscience que certains comportements ne doivent plus être banalisés. Ainsi, le fait de ne pas consommer d’espèces menacées (requins, civelles et oursins notamment) ou de ne pas rapporter de souvenirs de voyage réalisés avec des parties d’espèces (souvenirs en ivoire, corail, écailles de tortues, photos prises avec des primates ou des félins, etc.) doivent devenir des réflexes lors des séjours à l’étranger.
Les voyageurs doivent également avoir conscience qu’il existe un véritable enjeu de santé publique, en particulier lorsqu’ils rapportent dans leurs bagages de la viande de brousse. Ils sont le plus souvent inconscients du danger sanitaire que cela représente. En effet, une viande d’un animal sauvage ayant été transportée pendant plusieurs heures voire jours sans moyen de réfrigération adéquat et sans contrôle sanitaire est susceptible d’être vecteur de zoonoses (maladies infectieuses transmises des animaux à l’homme, comme la peste ou Ebola). La viande peut en plus contenir des insectes, potentiellement nuisibles et invasifs, qui risquent ainsi d’être introduits en France. Ces insectes peuvent à leur tour transmettre des maladies.
Les scientifiques ont d’ailleurs alerté récemment sur le fait que le commerce des espèces sauvages, qu’il soit légal ou illégal, est l’un des facteurs de risques les plus importants vis-à-vis de l’apparition d’épidémies. Lancer des campagnes de prévention sur les réseaux sociaux participerait à la prévention et lutte contre le trafic d’espèces sauvages sous toutes ses formes. Mais la diffusion d’une campagne de sensibilisation ne doit pas s’arrêter là. Elle doit aussi pouvoir être vue dans des lieux physiques stratégiques, donc forcément dans les aéroports et les avions.
Par Comité français de l’UICN x Tilt
Une infographie réalisée en partenariat avec le Comité français de l’UICN
✏ (texte) Myriam Dahman
✏ (illustrations) JeanJean Factory
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