quai d'orsay

Comment l'art resiste
à la crise climatique ?
Angélique Delorme

Rédaction Tilt le 13/05/2025

6 min de lecture 🧠   Niveau « J'y connais rien »

Et si l’art était un levier pour penser la crise climatique autrement ? Le dérèglement du climat ne menace pas seulement notre avenir : il fragilise aussi notre passé, notre mémoire, nos cultures. Montée des eaux, disparition de communautés, atteinte au patrimoine immatériel : que peuvent les musées face à ces bouleversements ? Et comment les artistes s’en emparent-ils pour alerter et sensibiliser ? 

On a interviewé Angélique Delorme, Directrice générale déléguée adjointe du musée du quai Branly – Jacques Chirac, qui œuvre à faire dialoguer arts et grands enjeux contemporains.
 

Tilt – Comment le dérèglement climatique menace-t-il l’art et la culture ?

Angélique Delorme : Le dérèglement climatique a un impact direct sur l'art et la culture. Il menace des lieux et des patrimoines historiques directement. Je pense à la ville de Venise, par exemple, qui est menacée aussi par la montée des eaux. Je pense aussi à des cultures et donc à toute leur création artistique derrière, et à leur existence profonde qui sont menacées par le dérèglement climatique et l'action humaine. Par exemple les peuples d'Amazonie. On a eu aussi en 2019 au quai Branly une exposition qui s'appelait “Océanie”. L’Océanie, étant un continent à 25 000 îles, qui est directement menacé par la montée des eaux. Effectivement, le dérèglement climatique, ça menace des cultures entières, des Hommes, mais derrière aussi la richesse du monde, la richesse de l'humanité et donc la richesse de la création artistique.

Tilt – Quels sont les peuples ou cultures les plus menacés ? 

A.D : C'est difficile de faire une véritable hiérarchie entre les cultures parce qu'en fonction des dérèglements, effectivement différentes cultures sont exposées. Des cultures sont menacées par la déforestation, ici c'est plus que le dérèglement climatique, c’est les dégâts de l'activité humaine sur la nature. On a des cultures aussi menacées par l'extrême sécheresse ou les extrêmes températures. Au global, je pense qu'on est tous menacés

Au XIXᵉ siècle, le grand peintre paysagiste, qui a eu d'ailleurs récemment une rétrospective au Petit Palais, Théodore Rousseau, avait lui-même, dans sa peinture, essayé d'alerter le monde sur la disparition, à cause de la déforestation, de la forêt de Fontainebleau. Et c'est avec ces peintures qui mettaient un peu en scène ce désastre qu'il a un peu poussé Napoléon III à prendre un décret qui allait décréter une réserve esthétique et protéger 1000 hectares de cette forêt.

Tilt – Quels sont les défis pour préserver ces héritages culturels menacés ?

A.D : Le premier défi, c'est de sensibiliser les publics. C'est-à-dire que l'art a une vocation immense de provoquer des émotions chez les personnes et donc par là même, on peut aussi bousculer une vision du monde, essayer de sensibiliser les publics sur l'urgence de ces problématiques. 

Le deuxième défi aussi, c'est d'être exemplaire parce que la production culturelle en fait, elle aussi, menace les écosystèmes. Effectivement, c'est une économie, l'économie culturelle qui est très carbonée. Quand on parle d'un tournage d'un film, on considère qu'en moyenne il s'agit de 500 tonnes d'émissions de CO2. C’est gigantesque. Donc le musée du quai Branly, comme les autres institutions culturelles, on a fait notre bilan carbone en 2023 sur ce qu'on appelle les trois scopes. En gros, notre bilan carbone général. Et la conclusion a été qu'on émet comme une ville de  2400 habitants. C'est gigantesque, au cœur de Paris. […] Donc ça, c'est aussi une mission, de réfléchir à comment décarboner la culture, comment ralentir, comment en fait, être en congruence avec notre propos et nous-mêmes, ne pas être les acteurs d'un écocide.

Tilt – En quoi l’art peut-il toucher le public différemment que les discours scientifiques ? 

A.D : Ça ne vous a pas échappé qu'aujourd'hui, on est dans un monde où la parole scientifique a de moins en moins de poids. C'est un drame, en soi. On est un monde qui est dicté par les émotions. Et les émotions, rien de mieux que l'art pour les provoquer, chez les personnes. Ça peut être d'ailleurs une définition de l'art, quelque chose qui va provoquer en nous une émotion. C’est en cela que dans cette période où la parole scientifique a de plus en plus perdu du poids, dans cette période où les fake news sont légion, on peut justement essayer d'en tirer parti et de comprendre ces évolutions de paradigmes

Je pense qu'il y a vraiment une mission aussi des établissements culturels pour faire cela. La preuve en est que le Musée d'Orsay, récemment, a annoncé tout un programme pour sensibiliser, à travers cent œuvres qui ont été sélectionnées, le public sur l'environnement. Donc ce genre d'initiatives, elles se multiplient aujourd'hui sur la scène culturelle et je pense que ça doit être aussi parce qu'on est dans une période où il y a de plus en plus de scepticisme sur la parole scientifique, donc à nous de prendre le relais.

MasterTilt, c’est quoi ? 

MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.

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Par Rédaction Tilt

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