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# Deep Tilt

Les pesticides, durs à avaler ?Partie 2 : danger à l'horizon

Rédaction Tilt le 08/01/2024

8 min de lecture 🧠   Niveau « Je me débrouille »

En 1962, la biologiste Rachel Carson secouait le monde avec la publication de "Printemps silencieux", un ouvrage de référence dénonçant les effets dévastateurs des pesticides et exposant les manœuvres de désinformation de l'industrie. Ses écrits ont marqué un tournant décisif pour le mouvement écologiste, entraînant l'interdiction de substances chimiques hautement toxiques telles que le DDT. Pourtant, d’après l’Atlas des Pesticides de 2023 publié par la Fondation Heinrich soixante ans après, le constat est amer : l'utilisation mondiale de pesticides atteint des sommets historiques, bravant des régulations plus strictes et des accords contraignants sur leur gestion, alors même que l’on connait leurs effets néfastes sur la santé et sur l’environnement.. Dans cette deuxième partie de notre série Deep Tilt consacrée aux pesticides, on décrypte les effets négatifs des pesticides.

Le chiffre qui fait Tilt !

2/3

des terres agricoles dans le monde sont contaminées par au moins une substance active. Les pesticides contaminent tous les milieux – sol, air, eau – et entraînent le déclin de la biodiversité.

Un danger pour l'environnement

Les pesticides ont été identifiés comme l’une des principales causes de la baisse si rapide et catastrophique du nombre d’espèces végétales et animales. Les sols renferment près du quart de la biodiversité planétaire et les pesticides nuisent souvent aux organismes indispensables à leur conservation. Par exemple, le glyphosate entraîne la disparition des floraisons des adventices et, de ce fait, une pénurie de nourriture pour les insectes qui se nourrissent des fleurs et des herbes sauvages…

Zoom sur le sol et la terre

Un sol sain est un écosystème riche en biodiversité, abritant près d’un quart de toutes les espèces connues sur notre planète ! La vie foisonnante dans le sol est si dense qu'une simple poignée de terre fertile renferme plus d'organismes vivants que le nombre total d'êtres humains sur Terre ! Difficile d'évaluer tout ce que cette vie souterraine dynamique réalise grâce à ses nombreux insectes, bactéries et champignons qui nettoient notre eau, recyclent les nutriments, empêchent les maladies du sol, créent de l'humus, stockent les gaz à effet de serre …

Les pesticides s’accumulent dans le sol où ils ont des effets indésirables sur les organismes vivants.. C’est alors des écosystèmes entiers qui sont menacés ! D’après l’Atlas des Pesticides de 2023, 2 800 expériences réalisées ont montré que ces substances nuisent aux organismes indispensables au maintien de la bonne santé des sols dans plus de 70 % des cas. Les résidus de pesticides sont responsables en particulier du déclin des populations de vers de terre, de micro-organismes et de champignons mycorhiziens. Ces derniers jouent un rôle crucial en fournissant des nutriments aux plantes tout en contribuant à les maintenir en bonne santé.

 

schémaEn agriculture, les insectes utiles sont les ennemis naturels des organismes nuisibles – par exemple une coccinelle peut ingérer à elle seule environ 50 pucerons par jour.

On sait qu’aujourd’hui, ces services fournis par les insectes (comme la pollinisation, le contrôle naturel des nuisibles) représentent chaque année 12% des profits réalisés dans les différents secteurs agricoles de l’UE. Pourtant, ces insectes utiles aux cultures sont en danger à cause des pesticides. En effet, la toxicité de ces produits les tue et quand elle ne les tue pas, elle a de multiples d’effets néfastes : perte d’orientation, déficience immunitaire, modification de la reproduction. 

Zoom sur l'eau

Les pesticides contaminent aussi bien les cours d’eau, que lacs et eaux côtières ou les eaux souterraines. La présence de ces substances actives dans l’eau, mais aussi de produits de dégradation de pesticides (ou "métabolites"), ou encore de ce qu’on appelle les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), entrainent des dégradations et des modifications des écosystèmes aquatiques.

C’est alors tout le cycle de l’eau qui est pollué : les eaux de pluie transportent des pesticides, les nappes phréatiques sont contaminées, et l’eau courante présente des traces de pesticides. Les espèces aquatiques sont alors aussi affectées, ce qui entraine des problèmes de reproduction, de développement ou encore d’immunité.

Or, on est face à un problème de grande ampleur : selon une étude de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), entre 2013 et 2019, jusqu’à 30 % de toutes les stations de surveillance des eaux de surface ont détecté au moins un pesticide dépassant son seuil d’effet. Et à l'échelle mondiale, c’est encore pire ! Des chercheurs d'une université allemande ont examiné les résultats de 838 études scientifiques sur l'exposition des eaux de surface aux pesticides. Sur les 11 300 concentrations d'insecticides mesurées, plus de la moitié dépassaient les niveaux considérés comme sûrs. Cela montre que la santé biologique des ressources en eau de la planète est sérieusement mise en danger.

 

Un enjeu de santé humaine

Le chiffre qui fait Tilt !

385

millions de cas d’empoisonnement par les pesticides sont recensés chaque année dans le monde. Les populations du Sud travaillant dans les zones rurales sont particulièrement touchées.

Il y a quatre principaux types de contaminations : en appliquant les pesticides dans les champs, en se promenant dans les cultures et les forêts, en mangeant des aliments contaminés et en buvant de l'eau. Souvent en contact direct avec les pesticides, les travailleur·ses·s du secteur agricole sont les premiers touchés.

Exposition : les agriculteurs en danger

La première exposition a lieu au moment de l’épandage, car cela implique de manipuler le produit contenant les substances actives concentrées pour les diluer dans l’appareil qui va permettre leur application. Celui qui le fait est alors exposé au moment de l’ouverture du contenant et du versement dans l’outil d’application. Projections, vapeurs, débordement, chute … les risques sont nombreux. Le problème ? Il y a un énorme manque de formations à la sécurité. En Afrique, en Asie ou en Amérique latine, les petits agriculteurs n’ont pas les moyens de s’acheter de pulvérisateurs à réservoir dorsal, de masques, de combinaisons de protection, ni de gants de bonne qualité. Selon une étude publiée en 2020,  43,2 % des petits exploitants agricoles sondés au Ghana disent par exemple ne pas avoir reçu de formation à la manipulation des pesticides; 

épandage

Mais au bout du compte, tout le monde est touché

Selon différentes études, les cas d'empoisonnement dus aux pesticides connaissent une hausse significative depuis plusieurs années. Actuellement, on recense environ 385 millions de cas d'intoxications aiguës chaque année. Or un grand nombre de personnes empoisonnées souffrent d’effets à long terme : il y a un lien de cause à effet entre l’exposition aux pesticides et le taux élevé de maladies chroniques comme la maladie de Parkinson ou la leucémie de l’enfant. On sait aussi aujourd’hui que ces substances vont accroitre le risque de cancer du foie et du sein, de diabète de type 2, d’asthme, d’allergies, d’obésité et de troubles endocriniens.

Sans aller jusqu’à l’empoisonnement, l’ingestion au quotidien d’aliments contaminés par les pesticides présente des risques graves pour la santé, en particulier chez les femmes enceintes et les enfants. Et ces résidus sont omniprésents. Selon des études sur la période 2016-2022, 93 % des échantillons de légumes vendus en Allemagne présentaient les résidus de 226 substances actives de pesticides. Autre exemple : au Brésil, selon une étude de 2019, 23 % de tous les échantillons dépassaient les limites maximales nationales, pourtant déjà deux à trois fois plus élevées que dans l’UE dans certains cas, et même des centaines de fois plus élevées dans d’autres pays.

Des conséquences inégales

Les pays du Sud : un terrain de jeu pour les industriels des pesticides

Beaucoup de pesticides sont interdits dans l'Union européenne, donc leur utilisation est illégale ici, mais paradoxalement, les sociétés qui en produisent peuvent toujours les envoyer vers d'autres pays, où ils représentent un risque sanitaire et environnemental parfois encore plus élevé. Il est vrai que l’on utilise moins de pesticides en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Il n’empêche, les 33 millions de petits exploitants agricoles du continent maitrisent moins bien les risques qu'ils encourent en utilisant ces pesticides et sont pourtant de plus en plus ciblés par les fabricants.

Les pays du Sud sont plus concernés par les conséquences néfastes pour de multiples raisons interconnectées : l’utilisation des pesticides extrêmement dangereux (HPP), le manque de mesures de protection lors de la manipulation des pesticides, la formation insuffisante à la sécurité sur les pesticides et enfin la réglementation relative à l'approbation et au contrôle de ces produits, qui peinent à suivre le rythme de la demande croissante de pesticides dans ces pays. 

 

cas ethiopien

Zoom sur les HHP dans les pays du Sud

Les pesticides hautement dangereux (HHP) ont de graves conséquences, mais ils sont encore largement utilisés dans les pays du Sud. Par exemple, en 2018, 40 % des pesticides au Mali et 43 % au Kenya étaient HHP, atteignant 65 % dans certains États du Nigéria en 2021. Ces produits sont également répandus en Europe de l'Est, en Asie centrale et dans le Caucase : entre 2019 et 2021, plus de 70 pesticides extrêmement dangereux étaient en usage en Géorgie, au Kirghizstan et en Ukraine, et jusqu’à 95 pesticides extrêmement dangereux en Arménie. 

Résultat pour les pays du Sud ? Un nombre de personnes contaminées et de morts élevé : 95 % des 385 millions de personnes qui sont chaque année victimes d’empoisonnement non intentionnel par les pesticides vivent dans les pays du Sud. Un exemple : l’Inde totalise à elle seule 60 % des décès liés aux empoisonnements par les pesticides.

 

carte intoxication

Les femmes en première ligne

Le chiffre qui fait Tilt !

70%

des femmes salariées en Asie du Sud et plus de 60% d’entre elles en Afrique subsaharienne travaillent dans l’agriculture.

Dans certains pays du Sud, les femmes sont majoritaires dans le secteur agricole. Dans certains pays et secteurs, elles font la majeure partie du travail de traitement des pesticides comme les plantations de café et de fruits en Afrique du Sud, les bananeraies au Costa Rica, et en Malaisie où leur nombre est estimé à 300 000 dans l'ensemble des plantations. D'après une étude, les femmes qui travaillent dans ces plantations en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines sont souvent exposées à des pesticides très dangereux (HHP) lorsqu'elles manipulent ces produits. Les femmes subissent aussi le poids de la socialisation. Compte tenu de la répartition traditionnelle des rôles entre les genres, les femmes sont plus exposées aux pesticides à travers les tâches domestiques, comme le lavage du matériel de pulvérisation ou des vêtements (imbibés de pesticides) de leur mari, le stockage des produits ou l’élimination de leurs contenants.

Enfin, les femmes sont victimes de l’accès inégal à l’éducation et à la formation. Plusieurs études menées en Bolivie, en Afrique du Sud et en Tanzanie, ont également indiqué que le taux d’alphabétisation plus faible des femmes et leur accès limité accentuaient leur vulnérabilité face aux pesticides. Les femmes sont alors incapables d’identifier les noms des pesticides qu’elles utilisent et de lire ou de comprendre les informations sur la sécurité figurant sur les étiquettes. Un exemple : selon une enquête, au Népal, 53% des agriculteurs interrogés déclaraient lire et comprendre les étiquettes  sur la toxicité des pesticides, contre seulement 25% des agricultrices.

manque instruction femmes Ghana

Enfin, les dangers des pesticides ne sont pas les mêmes selon le sexe. Les personnes de sexe féminin ayant généralement une plus grande proportion de masse grasse, elles sont plus susceptibles de stocker les polluants qui s’accumulent dans la graisse du corps. Leur corps est également constitué de plus de tissus sensibles aux hormones, ce qui les rend plus vulnérables à l’égard des pesticides, notamment ceux qui sont connus pour être des perturbateurs endocriniens. Par exemple : il existe un lien établi entre le cancer du sein et certains pesticides. Les pesticides jouent également un rôle dans l’endométriose, une maladie qui provoque de fortes douleurs et qui peut entraîner la stérilité des personnes de sexe féminin et constituer un grave danger pour leur santé reproductive et leur enfant à naître.

Mais alors que faire, quelles sont nos solutions ? On vous en dit plus dans la prochaine – et dernière - partie de notre série Deep Tilt sur les pesticides ! 

 

Pesticides Agriculture

Par Rédaction Tilt

✏ (texte) Jade Moreira
✏ (illustrations) 93mylove

 

Source : 

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