La profondeur des océans :Au-delà de 2000 mètres,on ne connaît presque rien.Interview avecFrançoise Gaill

L’océan recouvre 70 % du globe, est essentiel à la régulation du climat et permet à 3 milliards d’êtres humains de vivre.  Il est alors crucial de comprendre le rôle de l’océan, et de veiller à sa protection !  Et pourtant, on le connaît très peu ! Les fonds marins sont un espace quasi inexploré. Des millions d’espèces restent à découvrir. Pour tenter de percer les mystères de l’océan, on a interrogé Françoise Gaill, biologiste et océanographe, sur TOUT : les liens entre l’océan et le climat, les écosystèmes des abysses, la façon dont on pourrait préserver l’océan... C’est passionnant et il suffit de scroller un peu !

Tilt - Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière ? 

Françoise Gaill - C’est en fait la découverte des sources hydrothermales profondes. Ce sont des écosystèmes qui vivent le long des dorsales océaniques. Chaque océan a une dorsale. C’est le lieu où se forme le plancher océanique : c’est-à-dire le magma remonte, à la surface de la terre, de la lithosphère et troue le plancher océanique. Ce sont comme des geysers, qui sont extrêmement chauds et qui forment des petits volcans. Et autour de ces volcans se forment des écosystèmes tout à fait originaux. Avant on pensait que dans les grandes profondeurs, on avait des écosystèmes avec des individus petits, blancs, dépigmentés, sans nourriture. Et là, on a découvert des écosystèmes luxuriants avec des animaux qui étaient plus grands que moi, et qui avaient une anatomie tout à fait originale et différente de la nôtre, sans bouche, sans anus, sans tube digestif, et qui pourtant étaient géants, avec des processus de croissance incroyables. On a aussi découvert des nouveaux processus biologiques à l’origine de cette luxuriance. Et ça, ça a été vraiment un grand moment. Une fois par siècle, on a la chance d’avoir des découvertes de ce type, aussi radicales. 

Que sait-on à l’heure actuelle sur les fonds marins ?

Il faut savoir qu'on connaît bien les 700 premiers mètres de la surface de l'océan. Mais cette surface peut aller à 11 000 mètres. Vous imaginez la différence ? Et puis il y a un gap, au-delà de 2000 mètres, on ne connaît pratiquement rien. On ne connaît que 5 % vraiment bien cartographiés des fonds des océans. Donc ça veut dire que c'est encore un grand mystère, cet océan. 

Quel est le rôle de l’océan dans la régulation du climat ? 

L'océan fait partie du système climatique. Et son rôle, c’est d'absorber l'ensemble de l'énergie thermique, donc de toute la chaleur, qui est dégagée par ce qu'on appelle les gaz à effet de serre. Si on n'avait pas cet océan pour justement absorber cette chaleur, on serait cramé à la surface de la Terre. On ne pourrait pas survivre. Donc voilà quelque chose de très simple à comprendre et qui est vraiment majeur. Et cet océan, qui est aussi un puits de carbone, joue un rôle non seulement par rapport à la chaleur, mais aussi par rapport au CO2, ce qu'on appelle le gaz carbonique, et donc réduit, amortit tout ce qui est à l'origine du changement climatique. 

Comment préserver l’océan ? 

C'est au niveau international qu'on doit d'abord agir, parce que cet océan représente les deux tiers de la surface de la Terre, et c'est la coordination au niveau des Nations unies qui va nous permettre d'arriver à quelque chose. Je milite personnellement pour un océan durable, qui serait finalement une entité scientifique, mais qui associerait les acteurs de la mer pour savoir comment penser l'océan demain. Pas seulement son état, mais aussi son fonctionnement et son devenir. C'est-à-dire essayer de prévoir pour les usages que nous pourrions en faire, nous humains, quels seraient les moyens de protéger l'océan et nos écosystèmes et donc les vies humaines.

Des conseils pour les jeunes générations ?

La première chose, c'est essayer de comprendre comment ça marche. Il faut avoir cette curiosité d'esprit. Je crois que c'est la première des choses : donner envie. La deuxième, c'est sentir, connaître, mais connaître au sens physique. Aller voir la mer, aller sur la mer, aller sous l'eau. La troisième, c’est pouvoir partager cette passion de la mer avec d'autres. Essayer de voir en quoi ça peut changer la société, quand on en parle avec les autres, quand on connaît, quand on partage.
 

En bref : 

De nombreuses personnes militent déjà pour le respect des océans et la réduction de la pollution. Plus nous apprenons à connaître les profondeurs de l’océan, plus nous pouvons agir pour mieux préserver sa biodiversité et ses ressources.

MasterTilt, c’est  quoi ? 

MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’études : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.