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Biais cognitifs et climat : comment dépasser nos freins ? Mélusine Boon-Falleur

Rédaction Tilt le 08/01/2024

15 min de lecture 🧠   Niveau « Je me débrouille »

Comment les biais cognitifs influencent-ils notre réponse au dérèglement climatique ? Et quelles solutions pour motiver le passage à l’action ? Mélusine Boon-Falleur, doctorante en sciences cognitives à l’ENS, t’explique quels sont les freins psychologiques qui entravent notre action et ce qu’on peut faire pour accélérer le changement collectif !

Tilt : Sur quoi portent vos recherches ? 

Mélusine Boon-Falleur : Notre cerveau, il est façonné par tout un tas de mécanismes qui nous permettent d'interagir les uns avec les autres. Et moi, je m'intéresse beaucoup à cette psychologie sociale et surtout, à comment est-ce que ça s'imbrique avec la transition écologique. Parce que, évidemment la crise climatique ou la crise écologique dans son ensemble, c'est un problème qu'on appelle parfois « de gestions des communs » parce que mon comportement dépend aussi du comportement des autres. Et surtout, notre capacité à réduire les émissions dépend de ce que les autres font.

On peut souvent entendre dans le débat public ou même avec ses amis, des phrases comme : “Si les autres ne font rien, ça sert à rien que moi je fasse quelque chose”, ou “C'est pas de ma faute, c'est celle des politiques”, ou “C'est pas de ma faute, c'est celle des grandes entreprises” etc. Et donc moi j'essaie de comprendre qu'est-ce qui se passe dans la tête des gens ? Qu'est-ce qui peut être un frein parfois ? Et au contraire, quelles solutions est-ce qu'on peut mettre en place pour essayer de collectivement motiver le passage à l'action ?

Pourquoi, même si nous sommes conscients du problème, cela ne suffit pas toujours pour agir ? 

Mélusine Boon-Falleur : Il y a des raisons qu'on pourrait appeler structurelles. Typiquement, on peut se dire : voilà, j'aimerais bien prendre le vélo pour aller au travail, mais en fait, j'habite dans une zone rurale où ce n'est pas une option, où il n'y a pas de pistes cyclables.  L'autre type de barrière, auquel moi je m'intéresse beaucoup, c'est plutôt des barrières psychologiques. C'est de se dire, voilà, on a une envie et puis notre envie ne se traduit pas forcément dans nos actions. Une des premières choses qui est un facteur de ce fossé, c’est parfois le manque d'informations. Où en fait, on va être conscient du problème, mais on n'est pas forcément conscient des solutions à mettre en place. Une autre chose aussi, c’est ce qu'on appelle parfois en psychologie l'impatience. Il y a beaucoup de choses pour le climat qui demandent un effort, un coût immédiat pour un bénéfice sur le long terme. Et ça peut être un peu un facteur qui nous démotive pour passer à l'action.

Un autre facteur, à quoi moi je m'intéresse particulièrement, c'est ce phénomène de normes sociales. De manière générale, les humains ont tendance à adapter leur comportement à ce que font les autres autour d'eux, et ce parfois de manière complètement inconsciente. Et il y a un phénomène qui m'intéresse beaucoup, et je pense qu'il est parfois un peu méconnu du grand public, c'est le phénomène qu'on appelle « l'ignorance pluraliste ». C'est une situation où, de manière privée, tout le monde est d'accord, mais où publiquement on ne donne pas notre opinion, on ne dit pas notre avis, parce qu'on a peur que les autres ne soient pas d'accord avec nous. Alors on se retrouve dans des situations où, en fait, on est tous d’accord pour changer mais personne ne le dit, personne n’ose le faire, parce qu’on a peur du regard des autres, du jugement social.

Qu’est-ce qu’un biais cognitif et comment cela impacte notre rapport à l’information ?

Mélusine Boon-Falleur : Un biais cognitif c'est un mécanisme psychologique. Le biais, ça implique forcément qu'il y a une norme et qu'on a dévié de cette norme. Alors que moi, je suis plutôt de l'école de pensée qu'un mécanisme psychologique s’il est de la manière qu’il est, c'est que ça répond
à un problème quelque part et qu’il faut comprendre à quoi sert ce mécanisme psychologique.

Si on parle un peu de ces mécanismes, il y a par exemple ce qu'on appelle le biais de confirmation. Le biais de confirmation c’est qu'on a tendance à aller chercher et à plus croire les informations qui vont dans notre sens. Tu peux penser que la voiture électrique, c'est une fausse bonne idée et qu’en fait, c'est très mauvais pour l'environnement. Première chose, c'est que tu vas faire des recherches plutôt qui vont dans ce sens-là. Tu vas dire : “En quoi la voiture électrique n'est pas si bonne pour l'environnement ?” Alors forcément, tu vas trouver des informations qui vont dans ce sens-là. Donc ça, évidemment, ça peut être un petit peu un problème parce que ça nous empêche d'aller chercher nécessairement la meilleure information, parce qu'on veut plutôt chercher l'information qui conforte notre position.

Qui est touché par ces biais cognitifs ?

Mélusine Boon-Falleur : Certaines personnes ont un biais de confirmation qui est plus important. Notamment, ce qui est assez intéressant, c'est qu'il y a certaines études qui sembleraient indiquer que plus on est dans une position de pouvoir, plus on a un biais de confirmation qui est important. Ce qui est un petit peu problématique parce qu'on se dirait qu'on aimerait bien que les personnes qui ont plus de pouvoir soient les plus rigoureuses intellectuellement, quelque part, ou plus humbles.
Certains biais cognitifs varient dans la population, l'intensité, mais sinon c'est plutôt des choses qui sont universelles. 

Comment influencent-ils nos réponses au changement climatique ?

Mélusine Boon-Falleur : Les biais cognitifs influencent de beaucoup de manières différentes, notre réponse au changement climatique. Par exemple, notre perception du risque : on a tendance à faire beaucoup plus attention à un risque qui est déjà plus proche de nous dans le temps, plus proche de nous dans l'espace. Mais si ce sont des risques qui sont beaucoup moins visibles, comme des risques de santé - on sait qu’évidemment, un des gros problèmes de pollution de l'air donne lieu à beaucoup, beaucoup, de maladies pulmonaires, respiratoires, etc. Mais ça, comme c'est un risque qui est beaucoup moins fort, ce n’est pas comme s'il y avait un événement qui donnait lieu à une maladie juste après et bien on a tendance à sous-estimer très fortement ce risque.

Toujours dans la perception du changement climatique, du risque, et bien, on a beaucoup de mal avec tout ce qui demande un peu plus de calculs. Par exemple, quand on parle de trajectoire de réchauffement à un degré demi ou à deux degrés, en fait, c'est une moyenne. Mais quand on parle d’un degré et demi, évidemment, personne ne fait ce calcul. Et donc on se dit juste un degré et demi de plus dans la pièce, là, maintenant, tout de suite, ce ne serait pas très grave.

Encore une chose, on n’est pas très doué avec les pourcentages. Voilà, si je vous dis « il y a 1% des Français qui font ceci » ou « ça va donner lieu à 20% de ceci », etc. Ça va être assez dur de vous représenter ces quantités. Tandis que si je parle plutôt en termes de fréquence, « un français sur dix », là, c'est beaucoup plus facile de se souvenir et de se représenter cette quantité. Parce qu'on peut visualiser dans notre tête : il y a dix Français et puis il y en a un qui fait ça. Ça, c'est beaucoup plus facile.

Et enfin, un dernier mécanisme cognitif, c'est notre perception des chiffres ou des ordres de grandeur. Et en fait, plus ça va être des quantités élevées, moins on va vraiment comprendre ou arriver à se représenter cette quantité. Si je dis que l'aviation émet 1 million de tonnes de carbone ou que l'aviation émet 1 milliard de tonnes de carbone, en fait, ce qui va se passer dans votre cerveau, c’est que ça va toujours faire « beaucoup ». Mais on ne va pas prendre la mesure qu'entre 1 million et 1 milliard, il y a un facteur de 1000, que c'est énorme comme différence. Et donc en termes de communication, en termes de compréhension des enjeux, ça peut parfois être un problème. On a plus de mal à se rappeler de quantités très grandes que de quantités plus à taille humaine, entre guillemets. 

MasterTilt, c’est quoi ? 

MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir

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Par Rédaction Tilt

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