Espèces migratrices : espèces en déclin ?
Les espèces migratrices sont partout dans le monde - sur terre, dans l’eau et dans le ciel. Elles traversent des milliers de kilomètres pour se nourrir, se reproduire et se reposer, et à leur tour, elles jouent un rôle essentiel pour maintenir des écosystèmes sains et équilibrés. La Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS) a publié en février 2024 le tout premier rapport sur l’état des espèces migratrices dans le monde. On te décrypte ça dans ce nouveau Deep Tilt !
Les espèces migratrices sont essentielles
C'est quoi une espèce migratrice ?
On les retrouve dans tous les grands groupes d'animaux, des mammifères aux insectes, en passant par les oiseaux et les reptiles. Mais c'est quoi exactement une espèce migratrice ? Et qu'est-ce qui pousse ces créatures à entreprendre des voyages épiques à travers les continents et les océans ?
Une « espèce migratrice » c’est : « une espèce qui se déplace de manière saisonnière d'un habitat à un autre, parfois sur de longues distances. »
Quant aux raisons et modes de faire, il n’y a pas de règles. Pour certains, il s’agit de suivre la météo, pour d’autres de trouver l'amour ou simplement d’échapper à des voisins un peu trop collants. Certaines espèces, comme les tortues marines, préfèrent voyager en solo, tandis que d’autres, comme les oies sauvages, se lancent dans un road trip collectif.
Quels services nous rendent-elles ?
Chaque année, des milliards d'animaux parcourent de longues distances à travers continents, pays et habitats différents lors de leurs migrations. Ces espèces jouent un rôle crucial pour la nature, l'économie et même notre culture. Elles transportent des nutriments d'un endroit à un autre, ce qui contribue l'équilibre de nos environnements. Elles pollinisent nos cultures, soutiennent des moyens de subsistance durables et nous aident à maintenir des écosystèmes sains.
Un exemple : les chauves-souris ! Elles ne se contentent pas de voler dans la nuit, mais elles pollinisent également des centaines de plantes à fleurs. Plus de 500 espèces de plantes comptent sur les chauves-souris pour la pollinisation, et elles sont impliquées dans la dispersion de la noix de cajou, de la mangue, de la papaye, du fruit de la passion et de nombreuses espèces de figuiers utilisées pour le caoutchouc, le bois, le papier, les fibres et la médecine. C'est tout un service à la communauté végétale … et aux humains qui dépendent de ces produits.
De nombreuses espèces migratrices ont également une forte importance culturelle ou religieuse. Les oiseaux migrateurs, en particulier, sont associés aux voyages, aux nouveaux départs et au changement de saisons. Dans certaines régions, le retour du Vautour percnoptère annonce le printemps comme un présage de santé et de productivité, tandis qu’ailleurs l'arrivée de la Cigogne blanche symbolise souvent la naissance et la prospérité. Les migrations d'oiseaux revêtent une importance rituelle dans de nombreuses traditions, comme la migration de la Grue à cou noir en Asie du Sud et du Sud-Est, qui a une signification sacrée dans la culture bouddhiste. Ces liens culturels peuvent également encourager les efforts de conservation, comme on le voit avec l'implication des populations locales et des communautés autochtones d'Amérique du Sud dans la protection du Condor des Andes.
Les espèces migratrices en danger
Quel est l'état des lieux ?
Ce premier rapport sur l'état des espèces migratrices dans le monde révèle que ces voyageurs du monde animal sont sérieusement en danger.
Au cours des 30 dernières années, 70 espèces migratrices inscrites aux Annexes de la CMS – dont l’aigle des steppes, le percnoptère d’Égypte (une espèce de vautour) et le chameau de Bactriane – sont devenues encore plus menacées. En revanche, seulement 14 espèces ont vu leur état de conservation s’améliorer.
À cause de toutes de ces pressions dues aux activités humaines, une espèce sur cinq figurant sur la liste de la CMS est menacée d’extinction et 44 % d’entre elles voient une baisse de leur population. La situation est bien pire dans les écosystèmes aquatiques, puisque 97 % des espèces de poissons migrateurs inscrites sur la liste de la CMS - y compris les requins, les raies et les esturgeons migrateurs – sont menacées d’extinction !
Un exemple : l'anguille d'Europe. Cette espèce aujourd’hui en voie de disparition critique détient le record de la migration la plus longue parmi toutes les anguilles d'eau douce. En 2022, des chercheurs ont publié des preuves montrant que ces anguilles parcourent un chemin incroyable, de la côte atlantique de l’Europe jusqu’à la mer des Sargasses pour se reproduire. Autrefois très répandue, cette anguille représentait plus de la moitié des poissons dans de nombreux cours d'eau européens, jouant ainsi un rôle essentiel dans les écosystèmes aquatiques. Malheureusement, le nombre de jeunes anguilles a chuté de manière alarmante (95 % depuis les années 1980) en raison notamment de trafic et de leur surexploitation dès le plus jeune âge.
Quelles menaces pèsent sur les espèces migratrices ?
Les espèces migratrices font face à une multitude de défis à cause de leur mode de vie nomade et de leur besoin de différents habitats connectés. Ces voyageurs subissent souvent une combinaison de menaces, amplifiées par l'activité humaine. La principale menace pour ces espèces, selon la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN, est la perte, la dégradation et la fragmentation de l'habitat, en grande partie due à l'agriculture, ainsi que la surexploitation par la chasse et la pêche. En plus de cela, la pollution, notamment les pesticides, les plastiques et les métaux lourds, ainsi que le bruit sous-marin et la pollution lumineuse, représentent des pressions supplémentaires pour de nombreuses espèces migratrices.
Le dérèglement climatique est déjà en train d'impacter ces espèces migratrices, et ces effets devraient s'intensifier dans les prochaines décennies. Non seulement le changement climatique constitue une menace directe pour ces animaux, mais il agit également comme un amplificateur des autres menaces auxquelles ils font face.
Et problème supplémentaire : comme les espèces migratrices traversent généralement les frontières internationales, elles sont de fait soumises à des cadres juridiques différents. Ce qui ne facilite pas les choses pour les protéger ! Interdire de chasser les baleines dans un pays, c’est bien, mais si on les chasse ensuite une fois la frontière passée, ça ne les protège pas vraiment.
Quelles solutions ?
Protéger, connecter et restaurer les habitats
Les espèces migratrices se déplacent entre différentes zones géographiques pour se nourrir, se reproduire et se reposer. Il est donc crucial d'identifier et de protéger les endroits clés le long de leurs routes migratoires. Ces habitats ont aussi besoin d'une gestion efficace. Et pour maintenir ces zones en bon état et assurer la survie des espèces qui en dépendent, il n’y a pas de secret : il faut des ressources !
Le rapport de la CMS identifie près de 10 000 zones clés pour la biodiversité dans le monde qui sont importantes pour les espèces migratrices, mais il montre que plus de la moitié d’entre elles (en superficie) ne sont pas des aires protégées ou zones de conservation. Et 58% de ces sites sont menacés par les activités humaines.
Lutter contre la surexploitation
La surexploitation menace les espèces migratrices. Pour contrer ce problème, les lois nationales doivent strictement réglementer les captures légales pour assurer une protection efficace. Il est important d’améliorer nos outils de suivi des captures légales pour évaluer leur impact et l'efficacité des mesures de protection. Mais il faut aussi mieux surveiller les prises illégales et renforcer la collaboration internationale pour lutter contre ces pratiques en ciblant les zones qui ont le risque le plus élevé.
En parallèle, des mesures doivent être prises pour réduire les effets de la surpêche et des prises accessoires sur les espèces marines migratrices. Concrètement, il faut des limiter les captures d'espèces non ciblées, accroître la surveillance des pêcheries et intensifier la coopération internationale sur ce sujet.
Réduire les effets néfastes de la pollution
Cela passe d’abord par l'adoption de stratégies pour réduire la pollution lumineuse. Aujourd’hui, selon le rapport, environ 23 % de la superficie terrestre mondiale est désormais touchée par les émissions directes provenant de sources de lumière artificielle. La pollution lumineuse contribue à la mort de millions d’oiseaux chaque année, et les oiseaux migrateurs sont les plus exposés, car ils traversent des zones urbaines pendant leur phase de migration. Mais ça concerne aussi la pollution sonore : en réduisant l'émission de bruit sous-marin dans les zones sensibles pour les espèces marines.
Réduire l'utilisation de munitions au plomb et des polluants est une autre priorité. En éliminant progressivement ces substances toxiques, nous protégeons nos oiseaux migrateurs contre le risque d'empoisonnement. On estime par exemple qu’environ un million d’oiseaux d’eau meurent chaque année d’intoxication aiguë au plomb en Europe. Promouvoir des pratiques agricoles respectueuses de la nature est une façon de réduire l'impact des pesticides sur les espèces migratrices. Enfin, la pollution plastique est un problème majeur. Pour y remédier, le rapport de la CMS appelle à éliminer les plastiques problématiques et inutiles, et réduire leur utilisation grâce à des réglementations.
Par Rédaction Tilt
✏ (texte) Myriam Dahman
✏ (illustrations) Jean Jean Factory
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