
Peut-on lutter contre la pêche illégale ? Philippe Valette
La pêche INN (illégale, non déclarée, non réglementée) détruit nos océans et exploite des milliers de personnes. Mais comment ces pratiques affectent-elles nos écosystèmes et nos sociétés ? Dans cette nouvelle interview, on lève le voile sur les rouages de ces activités, des sous-déclarations de pêcheurs aux formes modernes d'esclavage sur les bateaux. Face à ces enjeux colossaux, quelles solutions mettre en place pour protéger nos ressources marines ? Philippe Valette, océanographe et membre du Conseil scientifique de la Fondation de la Mer est là pour t’éclairer !
Tilt – C’est quoi la pêche illégale, non comptée et non réglementée (Pêche INN) ?
Philippe Valette : La pêche, INN, c'est-à-dire illégale, non comptée, non réglementée. C'est un phénomène mondial qui est une plaie mondiale, et qui finalement empêche de bien gérer les stocks de poissons et d'assurer la survie, non seulement de ce qu'il y a dans la mer, mais aussi la survie des populations qui en vivent. C'est quelque chose qui va de la simple sous-déclaration d'un pêcheur, jusqu'à de l'esclavage moderne sur des bateaux esclaves qui sont inconnus de tout le monde, qui ont bien sûr tout leur système satellite coupé et qui pêchent 365 jours par an avec des hommes esclaves à bord qui, pour certains, ne reverront jamais la terre puisqu'ils meurent à bord.
Existe-t-il une gouvernance mondiale de la pêche ?
Philippe Valette : Il y a une gouvernance mondiale, mais les pays sont souverains. Surtout depuis que les zones économiques exclusives existent. Bien souvent la pêche illégale se situe dans les frontières de zones économiques exclusives. C'est très facile de dire pour un bateau qui a une licence avec un pays, de partir dans la zone économique exclusive du pays avec lequel il n'a pas d'accord. Il n'a pas d'autorisation. Alors généralement, il coupe son AIS (Automatic Identification System) pour qu'on ne le repère pas et puis il revient. C'est forcément avec des coopérations internationales qu'on peut y arriver.
Qui pratique la pêche illégale ?
Philippe Valette : Dans les eaux européennes, la pêche INN est relativement peu pratiquée. Tout ce qui concerne les réglementations sur la pêche européenne sont très performantes. Il y a une trentaine d'années, par exemple, vous aviez 25% des stocks de poissons dans les eaux européennes qui étaient bien gérés, en bon état. Aujourd'hui, vous êtes à 70% des stocks. Donc, la politique européenne des pêches a fait son œuvre et a pu restaurer en grande partie les stocks de poissons. Mais il y a des endroits dans le monde qui sont très atteints par la pêche INN, comme l'Asie du Sud-Est ou l'Afrique de l'Ouest où là c'est vraiment très compliqué. Je me rappelle toujours d'avoir discuté avec un diplomate seychellois qui me disait : “Tu te rends compte Philippe, on a un million de kilomètres carrés de mer à surveiller.” Il me dit : “Regarde cette carte, tu vois, tous les points que tu vois, c'est des bateaux, tous les points avec un point blanc, c'est des bateaux qui sont sous licence, autorisés à être là. Tous les autres, ils sont en pêche illégale. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse avec quatre coast guards (gardes côtes), on ne peut pas surveiller.” Les moyens des pays sont vraiment cruciaux pour pouvoir permettre de lutter contre la pêche illégale.
Quels dégâts environnementaux provoque la pêche illicite ?
Philippe Valette : Lorsque vous pêchez à la dynamite, à l'eau de javel, ou au chlore, les dégâts sont épouvantables. Vous bousillez tout l'environnement. Au chlore, évidemment, ils ne résistent pas et vous pouvez les ramasser ensuite. Et à la dynamite, moi j’ai déjà plongé en Espagne il y a plusieurs dizaine d’années, à un endroit où il venait d’y avoir une explosion. Dans ce cas, les poissons qui remontent à la surface sont ramassés, mais tous ceux qui ont leur vessie natatoire éclatée tombent au fond. Et quand vous plongez là-dessus, vous avez finalement autant de poissons au fond qui sont pas ramassés et qui sont laissés, que ceux qui sont à la surface et qui sont ramassés. Sans compter que, aux Philippines, vous avez des tas de gens à qui il manque une main parce qu’ils se sont fait péter leur dynamite. Lorsque vous pêchez trop de poissons non déclarés, vous ne pouvez pas gérer les stocks puisque vous ne savez pas de combien a été prélevé chacun des stocks. Ça, c'est un autre inconvénient environnemental et même écosystémique.
C’est quoi la stratégie Al Capone ?
Philippe Valette : Bien souvent, les bateaux sont des bateaux pirates. Les conditions sont épouvantables pour les pêcheurs qui vivent dessus. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles on pense, à la Fondation de la Mer, que l’on a une piste pour essayer de faire tomber les organisations qui pêchent avec ce type de bateaux. C'est ce qu'on a appelé “la méthode Al Capone”, si vous voulez, ces bateaux qui ne reviennent quasiment jamais à terre il faut quand même qu'ils viennent à terre de temps en temps. L'idée, c'est d'imposer aux armateurs de ces bateaux des exigences sociales, d'hygiène, en imposant des visites médicales, en imposant un minimum de bien-être social, si vous voulez, et de rémunération. De façon à, comme Al Capone était tombé pour des raisons fiscales et non pas à cause de ses activités, faire tomber ces organisations sur des questions de droits sociaux qui permettraient éventuellement de maintenir ces bateaux à terre et de les empêcher de reprendre la mer.
MasterTilt, c’est quoi ?
MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.
Par Rédaction Tilt
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