protection sociale feministe
# Deep Tilt

Pourquoi la protection sociale est-elle un enjeu féministe ? 

Action contre la faim & Tilt le 19/12/2022

7 min de lecture 🧠   Niveau « Je me débrouille »

La protection sociale souffre de certains préjugés. Pourtant, sans elle, ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables qui se retrouvent seuls face à des chocs de la vie (comme la perte d’un revenu). Parmi ces personnes, les femmes et les filles sont les plus susceptibles d’être touchées, car d’après le nouveau rapport d’Action contre la Faim, elles doivent faire face à des défis spécifiques. Cette question est donc un enjeu politique et féministe !

Pourquoi une protection sociale ?

La protection sociale souffre de certains préjugés : trop coûteuse, trop complexe et longue à mettre en place, favorisant la dépendance aux aides des populations, système copié du Nord qui ne correspond pas aux réalités des pays du Sud. La protection sociale est pourtant un droit qui est de la responsabilité des États. 

La protection sociale, à quoi ça sert ? 

La protection sociale, c’est l’ensemble des politiques qui contribuent à la couverture de divers risques ou évènements tout au long de la vie. Ces évènements, ça peut être des maladies, une naissance, la vieillesse, des accidents du travail, une invalidité, la perte de revenus, etc.

Face à ces risques, la protection sociale peut apporter une aide via des transferts directs (transferts d’argent ou en nature) ou en garantissant l’accès à des services essentiels de qualité, et à prix abordables ou gratuits (comme par exemple, le fait d’avoir près de chez soi des centres pour la petite enfance, des centres de santé, etc.). En gros, son but est d’assurer à chaque personne d’être protégée contre les incertitudes du futur. 

Le chiffre qui fait Tilt

+ de 4 milliards

de personnes en âge de travailler sont privées de protection sociale, qui est pourtant un droit humain proclamé par différents textes, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme, selon l’Organisation internationale du Travail (OIT)

La pandémie a creusé les écarts

Et des incertitudes du futur, il y en a plein, comme l’a révélé la pandémie du Covid. Suite à la pandémie, des centaines de millions de personnes sont tombées dans la pauvreté ; et aujourd’hui encore, de nombreuses personnes continuent à voir leurs revenus affectés. Un rapport d’UNICEF et de la Banque Mondiale révèle par exemple que dans 35 pays, dont Madagascar et la Sierra Leone, dans un quart des ménages avec enfants, les adultes sont contraints de se priver de nourriture pendant un jour ou plus à cause d’une perte de revenus liée à la pandémie.

Les femmes sont les plus à risque

Sans protection sociale, ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables qui se retrouvent seuls face à des chocs comme la perte de revenu, l’incapacité de travailler ou encore le fait de devoir aider un membre du foyer malade. Parmi ces personnes, les femmes et les filles sont les plus susceptibles d’être touchées par les répercussions des crises. Pourquoi ? D’après le nouveau rapport d’Action contre la Faim basé sur des enquêtes de terrain et analyses de trois pays, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et Madagascar, les femmes doivent faire face à trois défis majeurs.

Défi n°1 : les femmes travaillent majoritairement dans l’économie informelle

En Afrique subsaharienne, notamment, les emplois de l’économie informelle sont majoritairement liés à l’agriculture traditionnelle en milieu rural et dans les activités de petit commerce (marchés, vente de rue) en milieu urbain, mais cela concerne aussi les employées domestiques, les ramasseur·euses de déchet, les chauffeur·eures de taxi ou de bus. Même si toutes les personnes de l’économie informelle ne sont pas en situation de pauvreté, il est souvent difficile de vivre décemment des revenus issus de son travail.

Et statistiquement, les femmes travaillent davantage dans les secteurs sociaux peu rémunérateurs ou dans l’économie informelle (qui n’offre souvent pas de revenus fixes et aucune protection sociale). Par exemple, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire et à Madagascar, plus de 90% des femmes travaillent dans l’économie informelle. Or les personnes travaillant dans l’économie informelle ne sont que très peu couvertes face aux différents risques de la vie.

economie informelle

Défi n°2: les carences des services publics accentuent les inégalités de genre

Tout d’abord, les femmes sont celles qui portent le plus souvent la charge du foyer. Ce sont elles qui ont la responsabilité trouver des solutions pour répondre aux crises que traversent la famille, par exemple trouver le moyen de donner la même quantité et la même qualité de nourriture à ses enfants quand survient une baisse des revenus du ménage.

Des services publics universels de meilleure qualité sont une demande forte des associations et ONG féministes : en effet, sans la fourniture de services accessibles et abordables, le poids du soin repose sur les épaules des femmes : petite enfance, soins aux personnes âgées… Le problème, c’est que ce temps passé à s’occuper d’un membre de la famille malade ou dépendant est autant de temps que les femmes ne peuvent utiliser pour travailler et donc avoir de meilleurs revenus, mais aussi pour se reposer, pour s’éduquer, etc. Tout cela favoriser leur risque de basculer dans une pauvreté encore plus profonde. 

poids du care

Même quand l’égalité des droits, en termes d’éducation, d’emploi, de mariage et d’héritage ou contre les violences, est théoriquement garantie, on voit souvent que les choses sont bien différentes en pratique. Les normes patriarcales perpétuent les inégalités de genre. Avoir un système de protection sociale est un jalon essentiel pour un changement de normes, pour permettre en particulier aux femmes d’avoir les moyens de faire leurs propres choix.

« Pour moi, la priorité c’est la question fondamentale du droit de disposer de son propre corps car tout est lié, par exemple quand une jeune fille ne peut pas aller à l’école à cause de la précarité menstruelle cela aura des conséquences sur son emploi. Quand on donne accès à la santé sexuelle et reproductive, on travaille sur les causes et ça évite d’arriver trop tard. »

Une représentante de Malagasy Women Empowerment 

Défi n°3: le travail de soins non rémunéré n’est ni reconnu ni redistribué

Et enfin, ce sont principalement les femmes qui assurent les travaux de soins au sein du foyer qui sont systématiquement non rémunérés. Trop longtemps perçue comme un problème privé, cette question est pourtant un enjeu politique et féministe. Car ce travail de soin est indispensable pour les sociétés et les économies ; mais, parce qu’il est majoritairement assigné aux femmes et ne génère pas de revenu, il est invisibilisé et déprécié. Pourtant, selon des estimations des Nations Unies, s’il était comptabilisé, il représenterait, entre 10 et 39 % du produit intérieur brut, soit plus que la contribution de secteurs clefs tels que l’industrie, le commerce et le transport. Ce n’est pas rien !

femme poids du care

Quelles sont les pistes d’actions ?

Selon Action contre la Faim, il faut sensibiliser les travailleurs et les travailleuses de l’économie informelle sur leurs droits à la protection sociale pour pouvoir les défendre et les revendiquer vis-à-vis de leurs employeurs, le cas échéant. 

Il est également important d’augmenter et améliorer les investissements publics pour les services publics du soin (santé, soutien psychosocial, garderies d’enfants, etc.)

Enfin, il est essentiel de reconnaître la valeur et l’importance du travail de soins non rémunéré. Cela passe par une meilleure prise de conscience politique de l’ampleur du travail de soins non rémunéré assigné aux femmes et de son impact sur la pauvreté et la faim en faisant pression sur les États pour qu’ils comptabilisent ce travail. Il est aussi urgent de réduire sa pénibilité pour les femmes et de mieux le redistribuer entre hommes et femmes, et entre le foyer et l’État. Ça passe par un changement social et comportemental pour provoquer des prises de conscience et contrer les stéréotypes de genre ; notamment en impliquant les hommes afin d’en faire des acteurs de changement.
 
Pour en savoir plus et découvrir le nouveau rapport d’enquête d’Action contre la Faim sur le développement d'une protection sociale féministe en Côte d'Ivoire, à Madagascar et en Sierra Leone, c'est par ici.

Inégalités Égalité de genre Santé

Par Action contre la faim & Tilt

Une infographie réalisée en partenariat avec Action contre la faim

✏ (texte) Myriam Dahman x Action contre le Faim
✏ (illustrations) JeanJean Factory
 

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