
Pourquoi préserver la
mémoire de la glace ? Alexis Lamothe
Les glaciers ne sont pas que de simples blocs de glace ! Ce sont de véritables archives du climat, renfermant des milliers d’années d’histoire environnementale. Leur fonte accélérée met en péril non seulement ces précieux témoignages du passé, mais aussi l’équilibre climatique de notre planète. Alors, comment étudier la glace avant qu’elle ne disparaisse ? Pourquoi leur préservation est-elle une urgence scientifique et environnementale ? Et surtout, que nous apprennent-ils sur l’évolution du climat et ses enjeux ?
Pour répondre à ces questions, Alexis Lamothe, glaciologue et chercheur postdoctoral au Cerege et Cnrs, nous éclaire sur le sujet. Entre expéditions scientifiques avec Ice Memory Project, prélèvements de carottes glaciaires et sensibilisation à l’importance de ces vestiges du climat, il partage avec nous son expertise et sa passion.
Tilt – Qu’est-ce qu’une carotte glaciaire ?
Alexis Lamothe : Une carotte de glace, c’est un tube de dix centimètres de diamètre, à-peu-près. On le coupe souvent par section d’un mètre et en fonction des glaciers qu'on va forer, on va avoir 120 mètres de glace, par exemple, pour le Mont-Blanc, et jusqu’à quatre kilomètres au maximum pour des carottes d’Antarctique.
Tilt – Quels enseignements cela nous apprend sur notre passé ?
Alexis Lamothe : Quand il neige, la neige va se tasser et elle va former ce qu'on appelle un névé. C'est les neiges éternelles qu'on a parfois dans les glaciers. Et au bout d'un moment, ça va tellement être tassé que ça va avoir enfermé l'air du passé. Donc on a littéralement des bulles d'air qui sont présentes dans la glace.
Et donc quand on va ramener la glace dans nos laboratoires, si on fait fondre la glace ou qu'on découpe la glace et qu'on récupère cet air, on va pouvoir avoir les concentrations de gaz qu’il y avait dans le passé sur les derniers 800 000 ans.
Les carottes permettent aussi d'enregistrer les variations des poussières. Dans ces poussières, il va y avoir les émissions naturelles et aussi certains métaux. Donc le plomb, c'est un métal très toxique et on peut mesurer les concentrations de plomb qu'il y avait dans le passé. Il y a un exemple qui est assez parlant : au moment de l'Antiquité, on a une légère augmentation de la concentration de plomb dans la glace avec des variations. Et en fait, on a réussi à corréler ça avec l'Empire romain. Plus l'Empire romain était fastueux, plus il y avait d'argent, plus il finançait l'armée. Et à ce moment-là, une grosse partie de l'armement était fait par l'extraction du plomb et donc on retrouve ce signal de plomb dans les carottes de glace. On les retrouve dans les carottes de glace qui viennent de l'arc alpin, mais on les retrouve aussi dans les carottes qui viennent du Groenland.
Tilt – Quel est l’impact de la fonte des glaces sur la recherche ?
Alexis Lamothe : En été, aujourd'hui, c'est commun d'avoir des températures positives en haut du Mont-Blanc. Et ce qui le devient de plus en plus, c'est de rester avec des températures positives la nuit parfois. Donc la fine couche d'eau qui s'est formée par la fonte va pénétrer dans les couches de glace et va mélanger notre signal de préservation couche par couche. Ce qui rend toute interprétation impossible. Donc on a plus ce millefeuille qui nous permet d'étudier les variations de température, de climat, de composition de l'air au cours du temps.
Il y a cinq ans, il y a un forage qui a été fait, un pré-forage en fait, au Grand Combin, qui est un glacier côté suisse, qui permet de voir si on a une préservation du signal. Ils ont foré quelques couches et ils l'ont analysé en laboratoire. Ils y sont retournés, je crois, en 2022, pour forer la totalité du glacier. Et entre ces trois années, le signal avait été perdu à cause de fonte estivale. Et donc on a un site qui ne permet plus d'étudier la composition de l'air dans le passé.
On a des glaciers qui sont, sur l'arc équatorial, totalement en déperdition. D'ici dix ans, on pourrait perdre le Kilimandjaro, ce glacier iconique de l’Afrique, le Puncak Jaya en Indonésie. Tous ces glaciers qui pourraient nous permettre d'étudier dans le futur des questions scientifiques nouvelles, sont en train de disparaître.
MasterTilt, c’est quoi ?
MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.
Par Rédaction Tilt
Pour plus d'informations, nous vous invitons à consulter le site de la Fondation Ice Memory
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