Pêche durable : commentprotéger nos océans ?Fréderic Le Manach

Cruciaux pour notre planète et pour la santé humaine, les océans sont en danger. Leur principale menace ? La pêche industrielle. Mais quelles réalités recouvre ce phénomène ? Quelles solutions existent pour préserver les océans ?  

Pêche durable, aire marine protégée, surpêche…Fréderic Le Manach, directeur scientifique au sein de l’association Bloom, t’aide à y voir plus clair sur le sujet.
 

Tilt : Quelles menaces pèsent aujourd’hui sur les océans et la vie marine ?

Fréderic Le Manach : La menace numéro un qui pèse sur l'océan, notamment sur la biodiversité, c'est la pêche industrielle. Évidemment, le réchauffement climatique devient une menace très importante et passe parfois devant la pêche industrielle. C’est absolument indispensable de s'y attaquer puisque le GIEC et son équivalent qui travaille sur la biodiversité, l'IPBES, disent tous les deux que si on veut faire face au changement climatique, il faut avoir une transition énergétique radicale. Il faut aussi arrêter de détruire les écosystèmes, notamment marins, car ce sont eux qui vont nous permettre d'absorber notre excédent de chaleur et qui vont permettre de stocker le carbone.

C’est quoi Bloom et quelles ont été vos victoires ?

Fréderic Le Manach : L’association Bloom a été créée en 2005 par Claire Nouvian, qui avant faisait des documentaires animaliers. En fait, elle est tombée amoureuse des fonds marins en visitant une exposition sur les abysses. Elle a été choquée de voir que personne ne s'intéressait à la protection de ces écosystèmes alors qu'ils étaient soumis à des pressions humaines incroyables, notamment celle de la pêche industrielle. Très rapidement, Claire a lancé une campagne un peu plus politique, pour demander l'interdiction de la pêche profonde en Europe. Ça a été vraiment la première grande campagne médiatique de Bloom. On a obtenu, in fine, l'interdiction de cette méthode de pêche là en Europe. Donc, on n'a plus le droit d'aller traîner des filets au fond de l'eau, à plus de 800 mètres de profondeur. On a toujours le droit d'aller jusqu'à 800 mètres de profondeur, mais plus au-delà.

Depuis, on a eu d'autres succès. On a obtenu l'interdiction de la pêche électrique. C'est une méthode de pêche qui a été inventée par les Néerlandais, qui est une évolution du chalut de fond. Ces séries d’électrodes sur le filet généraient un champ électrique, le poisson était tétanisé par le champ électrique, convulsait, et de proche en proche, était happé dans le filet.  C'était vraiment une méthode de pêche qui était très efficace. Donc, la manne financière à court terme pour eux était tellement énorme qu'ils y sont tous allés. Ils ont mis sur le tapis toute la pêche artisanale de la mer du Nord.

Actuellement, on est en campagne sur la réelle protection des aires marines protégées. On a envie que la France annonce au minimum l'interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées. On a besoin de libérer l'océan de l'emprise de la pêche industrielle qui est destructrice de l'emploi, des finances publiques, de la démocratie, des écosystèmes marins. Cela pour donner de la place à la pêche côtière artisanale.

Qu’est-ce que c’est la pêche durable ? 

Fréderic Le Manach : Pour nous, la pêche durable, c'est une pêche qui arrête de détruire l'environnement marin. Le deuxième point, c'est aussi que le poisson pêché serve à l'alimentation directe des humains. Au niveau mondial, actuellement, on a à peu près un quart, peut être un tiers même, des captures de poissons chaque année, qui sert à la fabrication de farines et d'huiles pour l'alimentation des élevages, principalement les élevages de poissons comme le saumon par exemple en Norvège ou au Chili, mais aussi les élevages de porc, de poulet ou l'alimentation des animaux domestiques. La pêche durable c’est aussi par rapport aux hommes et aux femmes qui vivent de ce poisson-là. Par exemple, si c‘est une entreprise qui appartient à une société mère multinationale qui va aussi investir dans l'immobilier, dans la banque... Évidemment, ce n'est pas de la pêche durable. Donc on a vraiment toute cette nébuleuse de concepts qu'on agrège pour finalement arriver à quelque chose qui correspond à de la petite pêche côtière, locale, artisanale. 

Ça ne veut pas dire que tout est blanc dans la petite pêche, parce qu'ils vont capturer parfois des oiseaux, des dauphins. Mais évidemment, ce n'est pas du tout au même niveau de destruction que la pêche industrielle.

Quelles sont les perspectives d’avenir pour la pêche durable ? 

Fréderic Le Manach : Actuellement, on a un lobby de la pêche industrielle qui est extrêmement présent et puissant. On a besoin d'opérer une transition pour une pêche qui est semi-industrielle, pas forcément très vertueuse, mais qui a un ancrage territorial, qui a une histoire familiale. Là, on a besoin d'accompagner ces pêcheurs-là soit pour qu'ils partent à la retraite plus rapidement, soit pour qu'ils se reconvertissent vers d'autres méthodes de pêche. On voit bien que dans les quelques endroits où on a exclu la pêche industrielle, notamment les chaluts, on a de la création d'emplois, on a des jeunes qui viennent s'installer pour faire de la pêche. Tant qu'il y aura cette emprise-là de la pêche industrielle, on sera dans un système toxique qui bloquera complètement cette transition. Mais en tout cas, la pêche durable sur le papier existe. Maintenant, il faut simplement tracer le chemin.

MasterTilt, c’est quoi ? 

MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.