Un violador en tu camino :Un flash mob pour éclairer le chemin
Benoît Merlin le 23/07/2024
6 min de lecture 🧠 Niveau « J'y connais rien »
Des mots cogneurs, plein de colère, alliés à une chorégraphie simple, ont embrasé de nombreuses villes dans le monde. Un violador en tu camino de LASTESIS, ou comment une performance féministe chilienne est devenue un hymne contre les violences faites aux femmes.
Les nouvelles thèses féministes
Comment propager les voix des femmes dans un monde patriarcal saturé d’images ? En créant une performance au message à la fois subtil et universel qui peut être repris dans toutes les langues. Ce qui devait être un simple coup d’éclat local du collectif chilien LASTESIS s’est ainsi transformé en happening international. Ce collectif constitué de quatre femmes artistes - Daffne Valdés Vargas, Sibila Sotomayor Van Rysseghem, Paula Cometa Strange et Lea Cáceres - cherche à populariser les thèses féministes en s’inspirant notamment de l’anthropologue argentino-brésilienne Rita Laura Segato, pionnière des études sur la violence de genre.
Le 25 novembre 2019, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, LASTESIS organise simultanément à Valparaíso et à Santiago, au Chili, une performance féministe. Des dizaines de femmes effectuent une chorégraphie en scandant un texte intitulé Un violador en tu camino (Un violeur sur ton chemin). Pas besoin de savoir chanter ou danser, n’importe qui peut déclamer les paroles en mimant des gestes simples, hautement symboliques.
Dans les années 60, l’écorchée vive Violeta Parra, figure de la « nouvelle chanson chilienne », se servait de sa guitare pour se faire la porte-parole des pauvres, des paysans et des marginaux. Soixante ans plus tard, les « artivistes » veulent aller droit au but en utilisant un chant a cappella, rythmé par un beat électronique, clamé à l’unisson, d’une même voix forte et puissante. Les vers sont d’abord martelés tous les quatre temps pour les laisser résonner et, peut-être, illustrer les silences coupables de la société. Puis ils sont déclamés sur chaque temps comme si les guerrières sonnaient la charge. Les performeuses ne sont accompagnées d’aucun instrument, pas de douce mélodie ni de rythme dansant ; Un violador en tu camino n’est même pas une chanson, pas vraiment un slam, mais un slogan de révolte et un avertissement.
Briser la mécanique du silence
« Le violeur, c’était toi ! Et le coupable, ce n’était pas moi, ni où j’étais, ni comment je m’habillais », scandent les participantes, les yeux bandés, rappelant à qui de droit qui sont les victimes et les prédateurs. Elles dénoncent les criminels impunis, car selon une enquête menée par ce collectif, basée sur les chiffres du parquet national chilien, seulement 8% des procès pour viol aboutissent à une condamnation (1). Ce violeur a plusieurs visages et tous les pouvoirs : « Ce sont les pacos [les flics] / Les juges / L’État / Le Président ».
La chorégraphie est étudiée dans ses moindres détails : doigt tendu au moment de dénoncer le violeur, main portée à la bouche en guise de haut-parleur pour laisser jaillir la colère des femmes. À plusieurs reprises, les activistes se baissent en faisant mine de s’asseoir. « C’est le geste des femmes qui sont détenues par la police », explique Cecilia Baeza, professeure franco-chilienne à Sciences Po Paris, dans une interview accordée au site de la chaîne suisse RTS (2). « Au Chili, dans un contexte de protestation sociale de dimension inédite, les femmes arrêtées doivent se déshabiller. Nues sans justification, elles sont contraintes à effectuer des exercices où elles doivent se lever, s’asseoir, se lever, s’asseoir. Cette symbolique puise dans la mémoire de la violence de l’État chilien, la violence policière en particulier. » Après la dictature de Pinochet (1973-1990), les « carabineros » (surnom de la police militarisée) accusés de violences policières et sexuelles ont cherché à redorer leur image auprès de l’opinion en créant le slogan « Un ami sur ton chemin ». Cela inspire à LASTESIS le titre de sa chanson, dont une strophe reprend également ironiquement mot pour mot l’hymne des « carabineros » : « Tu peux dormir tranquille, innocente enfant, sans crainte du brigand, car sur ton doux sommeil bienfaisant veille un "carabinero" aimant. »
Une performance virale
Certaines participantes portent un foulard vert, en référence à l’emblème de la mobilisation des femmes argentines pour le droit à l’avortement. En quelques jours, la performance dépasse les frontières. Des collectifs féministes traduisent les paroles et reproduisent la chorégraphie à l’identique dans des manifestations à Bogota, Berlin, Londres et Madrid. En Turquie, le 8 décembre, trois cents femmes chantent dans les rues d’Istanbul les paroles d’Un violeur sur ton chemin en turc et en espagnol avant d’être dispersées par la police. Une poignée d’entre elles sont arrêtées pour « insultes au président turc » et « insultes à la Nation ». En France, la chorégraphie est reprise à Bordeaux, Montpellier et jusqu’au Trocadéro, à Paris, où les paroles sont adaptées avec les noms de l’exécutif français. Le happening s’achève avec des collages au sol dénonçant les féminicides.
Un mois plus tard, en janvier 2020, le slogan « Le violeur, c’est toi » est scandé par une soixantaine de femmes devant le tribunal de New York où est jugé le producteur de cinéma Harvey Weinstein, accusé de multiples agressions sexuelles.
Le combat sera de longue haleine : « Nous nous heurtons actuellement à une forte réaction des conservateurs et de l’extrême droite de notre pays, qui veulent remettre en cause certains droits des femmes. Le paysage sociopolitique chilien est très inquiétant, mais le mouvement féministe a aboli les frontières et possède la capacité de faire bouger les lignes institutionnelles », nous a confié LASTESIS lors d’une interview accordée le 28 mai 2024.
Frontales musicalement, radicales dans leur message, ces nouvelles Thèses (las tesis en espagnol) féministes ne se discutent pas. Désormais, elles traqueront les brigands pour les empêcher de dormir tranquillement.
Par Benoît Merlin
Sources
(1) En 2017, 22 540 plaintes pour agressions sexuelles ont été enregistrées. Soit près de trois par heure.
À visionner :
https://www.youtube.com/watch?v=aB7r6hdo3W4&t=84s
Copyright des photographies :
- photographies : ®colectivolastesis
✊
J'agis
Société
Violences gynécologiques et obstétricales : on en est où ?
Société
Chair : Le féminisme à fleur de peau
Société
Le sport, bien plus qu'une activité physique !
Environnement
Se mobiliser : un pas pour sauver notre environnement