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I play the kora : Une saga afroféministe

Benoît Merlin le 23/07/2024

7 min de lecture 🧠   Niveau « J'y connais rien »

Une chanson de quatre minutes face à des siècles d’oppression patriarcale. Un chant pour réinventer l’Afrique, rongée par le fléau des violences faites aux femmes.

Un All-stars féministe et panafricain

En 2018, une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révélait que 40 % des femmes en Afrique de l’Ouest ont subi des violences physiques et sexuelles (1). Au Mali, 89 % des filles et des femmes âgées de 15 à 49 ans ont été excisées, selon une étude de l’UNICEF, publiée en 2022 (2). Ces chiffres insoutenables, cette réalité sordide, trois célèbres divas maliennes les supportent depuis trop longtemps. En 2015, Oumou Sangaré, Mamani Keïta et Mariam Doumbia du duo Amadou & Mariam décident de frapper un grand coup contre les violences endurées par leurs sœurs africaines. Leur idée ? Créer un supergroupe féminin et panafricain pour éveiller les consciences. Elles se baptisent Les Amazones d’Afrique en référence à celles du Dahomey, un régiment de combattantes d’élite fondé au XVIIIe siècle au Bénin pour lutter contre les colonisateurs français. Le nom est également un clin d’œil aux Amazones de Guinée, une formation exclusivement composée de femmes soldats, créée en 1961. Les guerrières africaines n’ont rien d’un mythe.

amazones

Le projet séduit au-delà des frontières du Mali, le trio devient un collectif à géométrie variable, un véritable All-stars de l’Afrique de l’Ouest, comprenant de nombreuses têtes d’affiche maliennes, dont Kandia Kouyaté surnommée « la dangereuse » pour sa voix de sirène, « la rose de Bamako » Rokia Koné, mais aussi la reine de l’afro-funk béninoise Angélique Kidjo, la pépite germano-nigériane du hip-hop Nneka et bien d’autres artistes venues du Gabon et du Nigéria. Sans oublier la chanteuse malienne Mariam Koné et sa consœur gabonaise Pamela Badjogo aux chœurs. Les guerrières montent au front lors d’un premier concert en octobre 2015 au festival de La Fiesta des Sud, à Marseille.

Casser les codes de la kora 

À la réalisation de ce disque enregistré entre Paris et Bamako, le musicien et producteur français d’origine irlandaise Liam Farrell, alias Doctor L. L’homme est un sorcier des studios, il dynamite les frontières entre instruments traditionnels et vibrations électroniques. Une griffe afro-groove, résolument moderne, rappelant ainsi que le combat des Amazones est plus que jamais d’actualité. À l’image de la chanson I play the kora, premier tube de l’album République Amazone, une claque musicale et un manifeste féministe. Carrément dingue.

Pas de kora sur ce morceau, seul le titre de la chanson évoque cette harpe à calebasse mandingue dont la pratique est réservée aux griots masculins, gardiens de la tradition orale. Peu de femmes ont osé braver l’interdit de jouer cet instrument sacré, à l’image de la musicienne malienne Madina N’Diaye, qui fait résonner les cordes sensibles sur la chanson Kounani de l’album des Amazones. Ces insoumises d’Afrique inspirent nombre de jeunes artistes qui commencent à pratiquer la kora, comme la musicienne britannique d’origine gambienne Sona Jobarteh et la Sénégalaise Senny Camara. Dans les mains des Amazones d’Afrique, la kora est le symbole de l’émancipation : outre le droit d’en jouer, elles s’emparent du pouvoir conféré à ce sceptre musical.

Déboulonner les statues masculines

Les Amazones n’ont pas le blues mandingue, mais une furieuse envie de dynamiter aussi bien le répertoire que les mentalités. Rythme afrobeat fracassant, cicatrices de guitare électrique, lézardes de kalimba (piano à pouces), électrifiée, distordue et dérangeante, déchirures de trompette et chœurs tribaux… Les guerrières du groove bousculent et réenchantent l’Afrique
La chanson s’ouvre sur une supplique, chantée en chœur : « Je suis ta mère / Aime-moi / Je suis ta sœur / Aime-moi / Je suis ta femme / Aime-moi / Tu n’as pas le droit de me battre ». Puis chaque chanteuse adresse son propre message tantôt aux frères, tantôt aux mâles dominants. Magnanime, Rokia Koné rappelle que « nos maux et nos peines sont nos armes / Et nous, les femmes voulons les partager avec vous (les hommes) ». Révoltée, Nneka dit stop aux incessantes violences et humiliations : « Les choses que tu m’as faites / Comment tu t’es joué de moi et m’a utilisée / C’est fini, maintenant / ». Mariam Doumbia fait un vœu pour les jeunes générations : « Ne m’empêche pas d’aller à l’école / Je veux apprendre à compter et à écrire / Je ne veux pas être l’ombre de quelqu’un d’autre ». Dans le sixième couplet, la mordante Kandia Kouyaté déboulonne les statues masculines : « Arrêtez de décider pour nous / Ne ris pas, ne te moque pas de moi quand je dis que je veux être présidente de la République / Femme réveille-toi, sache qu’une femme dirige aujourd’hui le Libéria ». Elle fait allusion à Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue au suffrage universel d’un État africain en 2005 et investie présidente de la République le 23 novembre de la même année. Cette économiste reçoit le prix Nobel de la paix en 2011 pour son vaste programme de reconstruction du Libéria, ravagé par quatorze années de guerre civile. La même année, elle obtient un second mandat présidentiel.

amazones

Dans cette République qu’elles érigent en chanson, les Amazones s’attaquent frontalement aux violences sexuelles, au mariage forcé, aux mutilations génitales. Cette chanson dépasse rapidement les frontières africaines, le groupe est invité à se produire sur les scènes du monde entier, faisant de la scène une tribune pour réclamer la fin des mutilations. Tous les bénéfices de ce titre sont reversés à la Fondation Panzi du docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, qui soigne les femmes violées et excisées au Congo.

Dans leur combat, les Amazones invitent les hommes à lever le poing avec elles. Non contre elles. Elles l’affirment : désormais, sous les arbres à palabres, les femmes pourront jouer de la kora, afin de transmettre et réécrire leur histoire.

Égalité de genre

Par Benoît Merlin

(1) Violence à l’égard des femmes, estimations pour 2018
https://www.who.int/fr/publications-detail/9789240026681

(2) Fonds des Nations Unies pour l’enfance, mutilations génitales féminines au Mali : bilan d’une étude statistique, UNICEF, New York, 2022.
https://www.unicef.org/mali/media/3531/file/FGM%20Mali_FR_HR.pdf

À visionner : 
https://www.youtube.com/watch?v=FhhkQzXArxE

Copyright des photographies :

  • photographie 1 : © Eva Blue
  • photographie 2 : © Doug Linstedt 

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