Les règles et la précaritémenstruelle dans lemonde : sang tabou ?
Rédaction Tilt le 20/05/2022
6 min de lecture 🧠 Niveau « J'y connais rien »
2500 jours de règles dans une vie ! Pour te faire une idée, c’est comme si les règles coulaient en continu pendant près de 7 ans. Presque 10 % d’une vie. Les règles n’ont ainsi rien d’exceptionnel, elles font partie du presque quotidien de l’ensemble des femmes de la planète. Et pourtant, de nombreux tabous et mythes persistent autour de ces fameux cinq jours par mois. A l’occasion de la journée mondiale de l’hygiène menstruelle, on te propose un tour du monde de la façon dont on perçoit les règles dans nos sociétés.
Cachez ces règles que je ne saurais voir
2 à 5 jours par mois, de 13 à 50 ans en moyenne, les filles et les femmes ont leurs règles. Pour celles et ceux qui n’ont pas mis le pied dans un cours de SVT depuis un moment, cet écoulement de sang et de tissus résulte de l’évacuation de la muqueuse qui tapisse l’utérus en vue d’accueillir un ovule fécondé. Si l’ovule ne vient pas, cette couche interne est évacuée. Et l’opération recommence tous les 28 jours.
Alors que ce processus naturel et cyclique n’a absolument rien d’inédit et qu’il est vécu par plus de 2 milliards de femmes dans le monde chaque mois, les règles restent un sujet tabou pour 57 % des Français.e.s.
Le chiffre qui fait Tilt !
des jeunes Français et Françaises n’avaient jamais entendu parler des règles avant leur puberté. En Éthiopie, ce chiffre s’élève à 70 % !
Source : Baromètre Règles Elémentaires x Opinion Way
Ce tabou est entretenu par un mythe largement répandu : les règles seraient un truc sale et répugnant. Pire encore, les femmes seraient, au regard de certaines religions ou dans certaines communautés, considérées comme impures pendant cette période de leur cycle.
La piquante autrice Liv Stromquist relève des premiers écrits à ce sujet dès l’Antiquité. Pline l’Ancien, un naturaliste romain fort éclairé sur la question des règles (c’est ironique hein), affirme à ce propos que, au contact des femmes en période de menstruations, « les plantes perdent leur fécondité », « les fruits tombent des arbres », « les essaims d’abeilles meurent », « les chiens qui lèchent [le sang des règles] deviennent fous et, infectés par ce poison, en meurent ». Cela paraît ridicule, mais ce mythe a la vie tenace.
Aujourd’hui encore, au Népal et en Inde, les femmes qui ont leurs règles ne peuvent pas toucher la nourriture ou les récoltes, car cela pourrait causer malheur à leur famille ou communauté.
Quand menstruations riment avec déscolarisation
Selon l’ONG WaterAid, les filles manquent jusqu’à 20 % de leur scolarité à cause de leurs règles. Au Kenya par exemple, un million de filles seraient concernées chaque mois (un million !), selon l’ONG Care. Ces absences répétées peuvent entraîner un décrochage scolaire précoce, et maintenir durablement ces jeunes filles dans la précarité.
Les raisons de ces absences sont diverses, et ne concernent pas que les pays en développement, loin de là :
- Moqueries voire harcèlements pendant la période de règle
44 % des Françaises ont honte d’avoir leurs règles ! Pour ne pas risquer d’être moquées parce qu’elles ont leurs règles, des milliers, voire des millions, de jeunes filles restent à la maison pendant cette période. - Absence de sanitaires dans l’établissement scolaire
Parce qu’elles n’ont pas accès à des toilettes pour se changer et se laver, nombreuses sont les jeunes filles qui se voient privées de leur scolarité pour des raisons d’hygiène. Pour exemple, au Niger, 75 % des écoles primaires publiques sont dépourvues de toilettes. - Manque de protections périodiques
Sans accès à des protections efficaces (serviettes, tampons, coupe ou culotte menstruelle), les jeunes filles se voient obligées de recourir à des solutions de fortune : bouts de tissus, coton… Des solutions aléatoires, parfois dangereuses, incompatibles avec le suivi scolaire.
En fait, les tabous et mythes autour des règles en font un des premiers facteurs de discrimination et d’exclusion des femmes. Cela commence dès l’école, et se poursuit jusqu’à la ménopause, presque 40 ans plus tard.
Et le premier pas pour régler cela, c’est de donner accès à toutes les femmes à des protections efficaces pendant leur période de règles. Mais sur ce point, comme sur tous les autres en fait, il reste du boulot.
Précarité menstruelle : un fléau dont on commence à parler
À travers le monde, plus de 500 millions de femmes n’ont pas du tout accès à des protections périodiques. Cela s’appelle la précarité menstruelle.
Selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), la précarité menstruelle désigne « les difficultés de nombreuses femmes et filles à se payer des protections hygiéniques à cause de leurs faibles revenus ».
Cela conduit à des situations extrêmes ! Dans certaines régions de l’Inde rurale, les femmes n’ont pas accès à des protections périodiques décentes. Pendant leurs règles, elles ont recours à des bouts de tissus usagés, de la boue ou même de la cendre, mettant ainsi en péril leur santé gynécologique.
Si cette situation parait extrême et lointaine, elle touche pourtant de nombreuses femmes, et même dans les pays développés. En France, 20 % des femmes ont été confrontées à la précarité menstruelle.
L’accessibilité des protections périodiques n’est pas qu’une question économique. Elle résulte de choix politiques et sociaux.
Un long chemin pour changer les règles
Si la période de règles reste un calvaire pour de nombreuses femmes dans le monde, la situation s’améliore globalement (doucement).
Prenons l’exemple des taxes sur les produits hygiéniques. En France, l’Assemblée nationale a voté en 2015 la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les protections hygiéniques, la passant de 20 % à 5,5 %. Une lutte pleine de rebondissements pendant laquelle les tampons et serviettes ont été comparés à la mousse à raser ou à l’entrée des parcs d’attraction, c’est dire le niveau du débat.
La « taxe tampon » est ainsi un choix politique. Dans le monde, elle varie fortement selon les pays. La Hongrie (27 %), la Suède (25 %), ou encore l’Argentine (21 %) taxent fortement ce produit. À l’inverse, de nombreux pays ont fait le choix de supprimer toutes les taxes pesant sur les tampons et autres protections. C’est le cas de l’Australie, le Canada, l’Irlande, le Kenya ou encore la Tanzanie.
Bonne nouvelle également en Inde, où les personnes menstruées subissaient de nombreuses discriminations (évoquées plus haut). Le gouvernement a récemment retiré la « taxe tampon », contribuant ainsi à rendre les protections accessibles au plus grand nombre.
En plus de la baisse ou suppression de la « taxe tampon », les choses évoluent dans le bon sens, en France notamment. Les universités comme les entreprises commencent à bouger, en proposant par exemple des protections gratuites aux étudiantes et salariées.
Autres faits notables : les publicitaires ont cessé leur fâcheuse habitude de remplacer le rouge du sang par un liquide bleu semblable à de l’eau dans les publicités pour protection. Car oui, les filles et femmes n’évacuent pas un discret liquide bleu tous les mois, mais bien du sang. Afficher la réalité dans les publicités contribue à normaliser les règles et éduquer l’ensemble de la population.
Des hashtags comme #RespectezNosRègles contribuent à rendre visible ce sujet. Par ailleurs, de nombreuses initiatives émergent dans le domaine artistique, un des exemples les plus connus étant les photos de l’artiste Rupi Kaur, d’abord censurées par le réseau social Instagram qui s’est ensuite excusé.
En résumé, la route est longue mais une petite partie du chemin est déjà parcourue pour que les tabous et mythes qui entourent les règles cessent d’entraver la vie des femmes.
Comment casser les tabous et lutter contre la précarité menstruelle ?
Le premier pas, c’est d’en parler. Pour qu’avoir ses règles ne soit plus une période de honte, où l’on cache tant bien que mal sa protection dans sa manche pour filer aux toilettes en rasant les murs. C’est normal d’avoir ses règles, ce n’est pas normal que cela reste un tabou.
Pour casser les tabous des règles, tu peux te mobiliser sur les réseaux sociaux à l’occasion de la journée mondiale de l’hygiène menstruelle le 28 mai (28 comme, à peu près, le nombre d’un cycle et 5 comme, à peu près, le nombre de jours de règles !). Pour cela, rien du plus simple : l’association Wash United a tout prévu ! Retrouve les hashtags et les visuels ici.
Pour venir en aide aux femmes qui n’ont pas accès aux protection périodiques, l’association Règles Elémentaires, spécialisée dans la lutte contre la précarité menstruelle, te propose 3 pistes d’action :
- Participer à une collecte de protections périodiques en repérant une boîte à don
- Organiser une collecte de protections périodiques : pour cela Règles Elémentaires t’accompagne de A à Z pour que tu puisses organiser une collecte là où tu le souhaites. L’association se charge de redistribuer les protections récoltées.
- Organiser des ateliers de sensibilisation, dans ton école, ton université, ton boulot…
Tu peux également soutenir des initiatives et signer des pétitions visant à faire bouger les lignes globalement : installer des distributeurs gratuits de protections périodiques dans les établissements, les universités, les entreprises ; militer pour que les problèmes de règles douloureuses ou d’endométriose fasse davantage l’objet de recherches médicales ; etc.
Par Rédaction Tilt
🖌️ (illustrations) Jean Jean Factory
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