Le travail cupide, c’est quoi ?
Rédaction Tilt le 08/11/2023
5 min de lecture 🧠 Niveau « J'y connais rien »
On le sait, partout dans le monde, les femmes sont victimes d’inégalités salariales. La lauréate du prix Nobel d’économie 2023, Claudia Goldin, nous apporte un éclairage précieux sur la place des femmes sur le marché du travail et les raisons de ces écarts de salaire à travers son concept de « greedy work » – ou en français « travail cupide ». De quoi s’agit-il et quels sont ses impacts sur notre quotidien ? On t’explique.
Des femmes plus éduquées, mais toujours moins payées
C‘est une réalité connue et documentée : à poste et compétences égales, les femmes gagnent nettement moins que leurs homologues masculins. Et loin de se résorber, ces inégalités se sont renforcées durant les années 1980 pour exploser dans les années 2000. Pourtant, au cours de ces mêmes décennies, les femmes ont été de plus en plus nombreuses à étudier et à investir le marché du travail. À tel point que dans les pays à revenu élevé, le niveau d’éducation des femmes est généralement supérieur à celui des hommes.
Alors comment expliquer ce paradoxe ? La prix Nobel d’économie 2023, Claudia Goldin, nous apporte une réponse éclairante. Cette économiste américaine, professeure à Harvard, a consacré ses travaux sur les questions de la main-d’œuvre féminine et des inégalités de revenu. Dans son dernier livre paru en 2021, Career and Family: Women’s Century-Long Journey Toward Equity, elle s’intéresse aux raisons de l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. Il serait la conséquence de ce qu’elle appelle le « travail cupide ».
Par « travail cupide », elle désigne les emplois pour lesquels les travailleurs acceptent de consacrer plus d'heures ou de renoncer au contrôle de leur emploi du temps, en échange d’une importante rémunération. Et il ne s’agit pas simplement de travailler plus pour gagner plus : quand les horaires sont exigeants et imprévisibles, c’est chaque heure de travail qui est mieux payée. Autrement dit, pour obtenir une disponibilité et une flexibilité infaillibles de la part de ses employés, les entreprises sont prêtes à y mettre le prix. Le « travail cupide » peut prendre la forme d’un projet urgent, d’un client exigeant pouvant appeler à 23 heures ou d’un manager qui demande de sacrifier son week-end pour boucler un projet. Mais quel rapport avec les inégalités salariales ? On y vient.
L’écart salarial, une affaire de répartition des tâches
Le travail cupide désigne donc un emploi qui récompense financièrement les travailleurs prêts à sacrifier une partie de leur vie personnelle au profit de leur vie professionnelle. Ce genre de rythme est difficilement compatible avec la prise en charge de contraintes domestiques. Prendre soin d’un proche malade, s’occuper des enfants ou faire à manger, le ménage, la lessive… Toutes ces tâches demandent du temps et de l’énergie, exactement ce dont est privé un employé aux horaires de travail inflexibles.
Et tu l’auras deviné, qui, statistiquement, renonce le plus à ces emplois pour se consacrer aux impératifs domestiques ? Les femmes. Pour Claudia Goldin, l’idée que les femmes sont celles qui doivent s’occuper des autres imprègne encore profondément les sociétés du monde entier, y compris celles qui ont connu d’importants progrès en matière de droits des femmes. La chercheuse parle de « révolution ratée » : malgré des avancées indéniables, cette perception persiste et perpétue les inégalités de genre, en particulier salariales.
Quand l’équité a un prix
À l’arrivée d’enfants ou face à des responsabilités chronophages, même un couple animé par un fort désir d’égalité se retrouve vite rattrapé par la dure réalité économique.
Deux scénarios s’offrent à eux. Le premier, plus rare : le choix du 50-50. Les deux conjoints s’orientent vers des emplois aux horaires maitrisés, plus adaptés aux contraintes familiales. Ils assurent ainsi l’équité au sein de leur couple, mais font dans le même temps l’impasse sur de meilleurs revenus. Autrement dit, l’équité a un coût !
« Jusqu’où sommes-nous prêts à payer pour cette équité ? » Chaque couple doit répondre à ce dilemme. L’écrasante majorité opte pour le second scénario : seul l’un des deux partenaires accepte un emploi aux horaires maitrisés et donc moins bien rémunéré, pour se dégager du temps et le consacrer aux tâches domestiques. Sans surprise, ce sont les femmes qui payent le « prix de l’équité ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au niveau mondial, selon Oxfam seules 22 % des femmes volontaires et en âge de travailler le font à temps plein …
Alors, quelles solutions ?
Face à cette implacable loi économique, comment ouvrir, sans restriction, le marché du travail aux femmes ?
Premier chantier : changer la culture d’entreprise pour ne pas autant rémunérer le « travail cupide ». Si un parent abandonne un poste exigeant et imprévisible pour s’occuper davantage de ses enfants, son salaire ne doit pas en pâtir. Sur ce point, la pandémie de Covid-19 a permis d’entrevoir un début de solution : en rendant des emplois inflexibles plus souples, le télétravail facilite la conciliation entre vie professionnelle et personnelle.
Sur le front gouvernemental, la mise en place de congé paternité, de système de garde d’enfant ou d’aide aux personnes malades permettent aux femmes de disposer plus librement de leurs temps. Et ça change considérablement la donne : selon une étude, la mise en place d’un système de garde d’enfants booste l’emploi salarié féminin de 18 %.
Pour Claudia Goldin, c’est également au cœur des foyers qu’un véritable changement doit s’opérer : Il est crucial de faire évoluer les normes de genre, comme le choix du parent devant être présent à la maison, pour transformer la société dans son ensemble. Une évolution d’autant plus importante que, selon la chercheuse, les femmes portent en elles des solutions qui pourraient bénéficier à l’économie mondiale. Rien que ça !
Il y a un siècle, il était évident qu’une femme titulaire d’un diplôme universitaire devait choisir entre avoir une carrière et fonder une famille. Aujourd’hui, il y a plus de femmes diplômées d’université que jamais auparavant, et davantage de femmes souhaitent avoir une carrière et une famille, mais les défis persistent au travail et à la maison.
Claudia Goldin
Pour aller plus loin :
• Pour la prix Nobel Claudia Goldin, le « travail cupide » nourrit les inégalités salariales entre les sexes.
• Inégalités professionnelles femmes-hommes : que nous apprend Claudia Goldin, prix Nobel d’Économie 2023 ?
• Égalité salariale femmes-hommes : « Une réévaluation économique des professions à prédominance féminine est indispensable ».
• "Nobel d'économie" 2023 : l'Américaine Claudia Goldin récompensée pour ses travaux sur l'emploi des femmes.
Par Rédaction Tilt
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