Comment caractériserles droits de la nature ?Interview avecMarine Calmet

Que sont les droits de la nature ? En quoi et comment le droit doit-il évoluer pour répondre aux enjeux de demain ? Marine Calmet, avocate de formation, juriste spécialisée sur la question de la protection des droits de la nature et des peuples autochtones et présidente et fondatrice de WildLegal, fait le tour de la question dans cette interview !

Tilt - Comment le droit du vivant est-il devenu le fil conducteur de votre carrière ? 

Marine Calmet - En Guyane, j'ai pris conscience que le droit actuel, le droit dit « droit de l'environnement » ne protège en fait pas très bien l'environnement parce qu'il est surtout écrit pour satisfaire les besoins humains.  

On a écrit un code minier parce qu'on avait besoin d'exploiter la terre, mais la nature reprend ses droits. On a écrit un code forestier parce qu'on veut se servir des arbres et du bois pour nos usages. On se pose rarement la question de savoir « Quels sont les droits des non-humains ? ». C'est une question qui, à mon avis, est essentielle si on veut faire face à la crise écologique. Au lieu d'avoir un droit qui serait fait pour des humains, on a un droit qui est fait pour l'ensemble de la communauté des vivants. 

Quelle est la position  de la France sur le sujet des droits de la nature ?

En France pour le moment, la nature n'a aucun droit et le problème, c'est qu'elle est considérée comme une chose, comme un ensemble de ressources inertes qui peuvent donc être utilisées par les êtres humains pour satisfaire leurs besoins, qu'ils soient des besoins essentiels ou absolument pas essentiels.

D’où vient le mouvement des droits de la nature ? 

Les droits de la nature, c'est un mouvement qui remonte aux années 70. Le premier écrit sur le sujet est celui de Christopher Stone, "Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?" qui pose pour la première fois cette question-là "Comment reconnaître des droits à la nature ?" et surtout "Quelles opportunités politiques, écologiques, sociologiques, est-ce que cela représente ?". 

Puis, cette idée a fait son bout de chemin. Elle a été rejointe aussi par la philosophie et la cosmovision des peuples autochtones. Une tradition, notamment en Amérique du Sud, liée à la personne de la Pachamama, de la Terre-Mère, qui est venue infuser dans ce mouvement. En 2008, l'Équateur est le premier État à avoir reconnu officiellement dans sa constitution, dans l'article 71, les droits de la Terre-Mère, les droits de cette Pachamama. Ce mouvement est désormais présent sur tous les continents, de l'Ouganda aux États-Unis ou d'Australie en Nouvelle-Zélande. 

Quelles solutions peuvent être mises en place afin de préserver les droits de la nature et l'équilibre écologique ? 

Préserver les droits de la nature passe par leur donner une personnalité juridique, c'est-à-dire un statut propre, le statut de personnes naturelles et pour pouvoir les défendre correctement, les doter de gardiens et de gardiennes qui parlent en leur nom. Il faut accentuer la conservation de la biodiversité et la protection environnementale.

L'idée que je développe dans mon livre, qui s'appelle "Devenir gardiens de la nature", c'est cette idée qu'il faut se transcender, nous, c'est-à-dire dépasser notre rôle en tant que "simple citoyen", ne pas déléguer notre capacité d'agir à d'autres personnes, par le biais du vote ou par le biais d'élections, mais s'investir localement pour défendre sa rivière, agir en tant que gardien d'une forêt, d'un bois, d'un écosystème. 

Mon espoir, c'est que les choses soient en train de changer très vite. Il y a sept ans, quand j'ai commencé à travailler sur le sujet des droits de la nature, honnêtement, on nous prenait un peu pour des fous. Les gens se disaient "Donner des droits à la nature, mais quelle idée bizarre." Personne ne nous écoutait vraiment, alors même que c'était déjà en train de se passer ailleurs. Aujourd'hui, ce qui est extraordinaire, c'est qu'il y a plein de gens qui sont en train de travailler là-dessus, partout en France. 

Tous ces sujets-là, ils sont en train d'émerger très concrètement dans la société civile. Ils sont ainsi de plus en plus écoutés et relayés par les médias. Et ce sont des solutions qui sont même écoutées au sein des institutions. La nature reprend ses droits, est un fait, une idée, que nous devons accélérer avec nos outils. On travaille aujourd'hui avec de nombreuses institutions et même des entreprises qui nous disent "Comment est-ce que les droits de la nature vont venir changer le monde demain ?". Je n'y aurais jamais cru il y a sept ans, et aujourd'hui, très honnêtement, je me dis que c'est en train de prendre vie. Il y a cette idée qui est en train de germer dans les têtes. Parce que l'on est capable de diffuser ces informations très rapidement, ça va très certainement arriver dans les prochaines années. Donc, je peux être confiante à ce niveau-là.

MasterTilt, c’est quoi ? 

MasterTilt, ce sont des interviews d’expert.e.s qui reviennent en profondeur sur leur sujet d’étude : d’abord, ils.elles décryptent les défis du monde, ensuite, ils.elles nous donnent leurs bons tuyaux pour agir.