
Quelles sont les causes de la déforestation ?
Rédaction Tilt le 23/03/2023
6 min de lecture 🧠 Niveau « Je me débrouille »
Cruciales pour notre planète (et pour nous au passage), nos forêts sont en danger. Leur principale menace ? La déforestation. Mais quelles réalités recouvre ce phénomène ? Quelles en sont les diverses causes ? Existe-t-il des solutions pour l’enrayer ? Mathieu Auger Schwartzenberg, spécialiste du sujet à l’Agence française de développement, fait le tour de la question pour Tilt.
Mathieu Auger Schwartzenberg est chef de projets à l’Agence française de développement, notamment en lien avec le secteur forestier. Il est spécialiste des problématiques de gestion responsable des forêts tropicales.
Crédits photo : Eric Thauvin

Tilt : Quel est l’état de la déforestation dans le monde à l’heure actuelle ?
Mathieu Auger Schwartzenberg : Déjà, on constate que le rythme de la déforestation ces 10 dernières années a globalement, à l'échelle planétaire, fortement baissé. Il a été divisé par deux entre la décennie 1990- 2000 et la décennie 2010- 2020. On déforeste donc moins qu’il y a 30 ans où on perdait environ 8 millions d'hectares de forêts par an. Aujourd'hui, la planète perd environ 5 millions d’hectares par an.
Mais même si le rythme de déforestation baisse au niveau global, nous avons quand même perdu 420 millions d'hectares de forêts naturelles depuis 30 ans, soit 10 % des forêts mondiales. Et il y a des disparités : l’Amérique du Sud a réduit de moitié son taux de déforestation ces 20 dernières années, en Asie la superficie forestière a augmenté grâce à des campagnes de plantation, alors qu’en Afrique le rythme de déforestation accélère.
Quand on parle de déforestation, de quoi parle-t-on exactement ?
La déforestation, c'est la conversion d'une forêt naturelle à un autre usage qui n'est plus forestier. Le passage d'une forêt naturelle à une plantation d’eucalyptus, c’est d’abord de la déforestation par conversion, même si une forêt plantée lui succède.
Quelle est la cause principale de la déforestation de manière globale ?
Historiquement, la déforestation concernait les pays de l’hémisphère nord, mais à présent que ces derniers observent un gain net de couverture forestière. Aujourd’hui ce sont les forêts tropicales qui sont menacées, notamment les forêts d’Amérique du Sud et les forêts africaines. Ce qui cause la déforestation en zone tropicale, c'est principalement l'agriculture.
Outre les feux, qui marquent les esprits, l’agriculture est responsable de 80 % de la perte de forêts naturelles, avec en premier lieu l’élevage de bœuf qui est responsable de 40 % de la déforestation mondiale, 20% pour l'expansion des terres cultivées pour la culture du soja et de l’huile de palme. Viennent ensuite les conversions de plantations forestières, à hauteur de 13 % puis d'autres cultures agricoles (céréales, légumes, riz). Mais, encore une fois, les causes de déforestation varient selon les régions du monde.
Quelles sont les différentes causes dans ces trois bassins tropicaux ?
Pour le bassin amazonien, l'essentiel de la déforestation est dû à l’expansion des pâturages (pour produire du bœuf) et ensuite à l’agro-industrie, pour la culture de soja essentiellement, qui vient notamment nourrir le bétail français et européen.
En Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, la déforestation était principalement initiée par de l’agriculture itinérante familiale et vivrière, qui laissait la place progressivement à des cultures plus permanentes. Actuellement, en Afrique de l’Ouest, les principaux moteurs de déforestation sont l’expansion des cultures de palmiers à huile et de cacaoyers, suivi de l’hévéa (pour son caoutchouc) et du café.
En Afrique centrale, cela dépend des pays et des réalités sociales, démographiques et économiques. Par exemple, au Cameroun, la déforestation est essentiellement liée au développement de l'agro-industrie (huile de palme), à l’urbanisation et à l’expansion des cacaoyères familiales… En RDC, la demande en bois-énergie augmente proportionnellement à la croissance démographique du pays. Après l’agriculture familiale, le bois-énergie est le second facteur de déforestation du pays devant les agro-industries (huile de palme essentiellement). En Zambie, première en terme de déforestation du continent et cinquième mondiale, le principal moteur de déforestation est la production de charbons de bois, devant le l’extraction de cuivre et la culture du maïs.
Et enfin en Asie du Sud-Est, où les réalités diffèrent d’un pays à l’autre, on peut retenir que le phénomène est lié à l’ouverture de la forêt par l’exploitation forestière puis à la conversion de celles-ci, notamment en Indonésie et en Malaisie en plantations agro-industrielles, surtout d'huile de palme ou en plantations forestières pour l’industrie papetière et la fabrication de pneus. Les feux de forêt, d’origine humaine pour fertiliser le sol, représentent la troisième cause de déforestation mais la pire en terme d’impacts sur le climat.
C’est quoi la déforestation importée ? Quelle est la responsabilité de l’Europe dans la déforestation mondiale ?
La déforestation importée, c'est l'importation de matières premières ou transformées dont la production a contribué directement ou indirectement soit à la déforestation, soit à la dégradation des forêts ou encore à la conversion d’écosystèmes naturels en dehors du pays importateur.
Par exemple, la France est totalement déficitaire en protéines végétales, c'est-à-dire qu'elle a besoin d'importer plus de 40 % de ses protéines végétales pour pouvoir nourrir le bétail. Ainsi, 40 % du bétail français est nourri par du soja brésilien. Concrètement, cela représente l'importation de 60 bateaux par an de soja brésilien possiblement issu de la déforestation.
Selon une étude conduite par WWF en 2021, l’Europe serait responsable d’au moins 16 % de la déforestation mondiale à travers ses différentes importations, en premier lieu desquelles le bœuf, l’huile de palme, le soja, mais également le bois, le cacao, le café, le caoutchouc…
Comment l’Europe agit contre ce phénomène ?
Il y a déjà eu plusieurs accords internationaux pour aborder ce problème : la Déclaration de New-York sur les forêts de 2014, ou encore les déclarations d'Amsterdam en 2015. Mais il n'y avait rien de contraignant.
En novembre 2018, la France est le premier pays au monde à s'être doté d'une stratégie de lutte contre la déforestation importée, visant à mettre un terme à toute importation française de produits agricoles issus de la déforestation d’ici à 2030.
L'Europe a finalement suivi avec l'acceptation, le 6 décembre 2022, d'un règlement de l'Union européenne sur la déforestation, légalement contraignant, qui entrera en vigueur d'ici un an et demi. Il interdit d’importer des produits dont la production a causé de la déforestation ou de la dégradation forestière après le 31 décembre 2020.
Il vise plusieurs produits agricoles : l'huile de palme, le soja, le bois, le bœuf, le cacao, le café, le caoutchouc et les produits dérivés comme le cuir, les tablettes de chocolat, les meubles, les pneus, le charbon de bois etc. Il va avoir un rôle majeur puisqu’il va contraindre tous les États membres de l'Union européenne à mettre en place des contrôles sur leurs importations en fonction des risques que présentent les pays producteurs. 34 000 entreprises opérant en Europe, importateurs, exportateurs, transformateurs et commerçants, sont concernées. Tout un mécanisme de contrôle-sanction à imaginer.
Quels enjeux le phénomène de déforestation entraîne-t-il pour notre planète, en matière de climat par exemple ?
Les études scientifiques récentes montrent que la déforestation en forêt amazonienne l’a conduite à être aujourd’hui une émettrice pure de carbone. Elle est en cours de franchissement de son point de bascule. Alors qu’auparavant, on considérait la forêt brésilienne comme un séquestreur pur de carbone.
On se rend donc compte qu’à trop fragiliser des écosystèmes tropicaux, ils perdent leur équilibre et leur résilience. En 2015, 4 % des forêts mondiales ont brûlé des côtes californiennes, à l’Europe centrale, à l’Afrique du Nord et jusqu’en Indonésie. La déforestation fragilise les écosystèmes forestiers d'une manière globale et engendre donc un effet pernicieux pour le maintien des forêts.
Les écosystèmes forestiers jouent aussi un rôle majeur dans la régulation des climats continentaux, car ils gèrent les régimes de pluies. Cela conduit à un cercle infernal : on dégrade les forêts qui perdent leur équilibre et se fragilisent. Ce phénomène impacte le climat. Les forêts sont fragilisées par le changement climatique : il y a de moins en moins de couvert forestier qui arrive à évapo-transpirer correctement et donc à créer des nuages de pluie ce qui perturbe les régimes hydriques et assèche les écosystèmes. Rappelons que c’est surtout parce qu’il y a des forêts qu'il pleut et non l’inverse.
Et pour notre santé ?
On voit que la déforestation favorise aussi l'émergence de zoonoses, des maladies transmissibles depuis les animaux jusqu'aux humains. La déforestation augmente les contacts entre les humains et les espèces animales. Elle réduit aussi les habitats des espèces animales et favorise ainsi les contacts des espèces animales entre elles ou encore la rencontre entre des espèces d'élevage et des espèces sauvages. Voilà où se trouve la bombe zoonotique.
Que peut-on faire pour lutter contre la déforestation à l’échelle individuelle et collective ?
Aujourd'hui, il y a un certain nombre d'outils qui existent, comme le calcul de l'empreinte forêt, développé l’ONG Envol Vert. Mais ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement de culture. La solution viendra, selon moi, d’engagements politiques assortis de moyens financiers, et d’une mise en œuvre réelle et cohérente de ces politiques, qui doivent nécessairement tenir compte du contexte social et des réalités géographiques. N’oublions pas que nous avons converti l’essentiel de nos forêts entre 1450 et 1700, pour notre développement agricole et construire nos navires de guerre. Il nous faudra donc accompagner les transitions forestières des pays tropicaux.
Cette solution est donc double pour moi. Il y a d'une part la responsabilisation des États importateurs, la prise en compte de leur empreinte sur la déforestation. C’est donc à eux de mettre en place les régulations sur leurs territoires nationaux pour que nous puissions enrayer ces importations issues de la déforestation et de la dégradation des forêts.
Et d’autre part, il faut un appui et un engagement des pays producteurs à renforcer leur gouvernance, protéger et promouvoir leur capital naturel et enfin lutter contre l’exploitation illégale et la corruption. Les pays producteurs sont pourvus d’un corpus normatif ou légal qui protège les forêts tout en permettant des développements agricoles responsables. Il faut maintenant qu’ils soient largement mis en œuvre et sur cela, les pays consommateurs ont également leur part de responsabilité.
Par Rédaction Tilt
🙏 Merci à Mathieu Auger Schwartzenberg pour le partage de son expertise
✊
J'agis

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