
Le masculinisme,
c'est quoi ?
« Le féminisme est allé trop loin », « aujourd’hui, ce sont les hommes qui sont discriminés ». Tu as déjà entendu ce type de discours ? Loin d’être isolés, ils s’inscrivent dans une idéologie bien rodée dont l’influence dépasse les frontières du web. Derrière le masculinisme, se cache un mouvement mondial qui entend bien remettre en question l’égalité entre les genres. Accroche-toi, on t’explique.
Quand les hommes jouent les victimes
Le masculinisme repose sur une idée simple : la masculinité serait en crise. Les avancées féministes des cinquante dernières années menaceraient les hommes, les réduisant à une position de subalterne soi-disant contraire à l’ « ordre naturel ». Derrière ce discours victimaire, il s’agit surtout de défendre les privilèges masculins en attaquant les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+.
Sur internet, les idées masculinistes prospèrent. La « manosphère » – une galaxie de communautés en ligne, d’influenceurs et de vidéos glorifiant la masculinité – inonde les réseaux de contenus haineux où les femmes sont dépeintes comme des oppresseuses.
Ces discours ont une véritable influence sur les nouvelles générations. Selon le Financial Times, partout dans le monde, un fossé idéologique se creuse entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. Aux États-Unis et en Allemagne, les femmes de moins de 30 ans sont de 30 points plus progressistes que leurs homologues masculins sur les questions de genre. En Corée du Sud, cet écart atteint 50 points ! Un gouffre intragénérationnel qui en dit long sur la force de frappe des masculinistes.
Le masculinisme : vieux combat, nouveau discours
Le masculinisme est aussi vieux que le féminisme. Le mot apparaît dans les années 1880 pour désigner ceux qui s’opposent à l’émancipation des femmes au nom de la virilité masculine.
Mais c’est avec les mouvements des pères divorcés des années 1990 et 2000 que le masculinisme moderne prend forme. À l’époque, plusieurs pays, comme la Grande-Bretagne ou le Canada, durcissent leurs lois pour s’assurer que les pères divorcés versent bien leur pension alimentaire. Et ça ne plait pas à tout le monde : des groupes se créent pour défendre le « droit des pères » à coups d’actions spectaculaires. Par exemple, en 2005, à Montréal, un membre du groupe « Fathers 4 Justice » déguisé en super-héros (virilité, quand tu nous tiens…) escalade le pont Jacques-Cartier avec une banderole réclamant l’« égalité parentale ».
Ces actions pourraient prêter à sourire, mais elles marquent un tournant. En attirant l’attention médiatique sur une prétendue discrimination contre les hommes dans les affaires familiales, elles contribuent à structurer un discours victimaire. À partir de là, les masculinistes commencent à détourner habilement le vocabulaire féministe : les hommes deviennent les victimes, les femmes les oppresseuses. Le patriarcat devient le matriarcat. La petite musique de la crise de masculinité s’installe dans le débat public.
Les chiffres, eux, racontent une toute autre histoire : les inégalités continuent de frapper massivement les femmes au travail comme à la maison. Pour le chercheur et politiste canadien Francis Dupuis-Déri, « les hommes sont en crise dès que les femmes avancent vers plus d’égalité et de liberté ».
Du virtuel au monde réel : une influence planétaire
Forums, coachs en séduction, influenceurs… Sur la toile, les réseaux masculinistes se diffusent à vitesse grand V, glorifiant le « mâle alpha » prétendument détrôné par « la femme ».
Parmi les plus connus, on trouve les « incels » ou « célibataires involontaires » – des hommes, majoritairement jeunes, qui accusent les femmes d’être responsables de leur misère sentimentale. Leur discours ? Une haine sexiste viscérale alimentant raids en ligne et cyberviolence. En 2021, 41 % des femmes américaines auraient subi du harcèlement en ligne à cause de leur genre.
Mais les discours masculinistes dépassent les frontières du web et trouvent un écho de plus en plus important dans la sphère politique. En Corée du Sud, des groupes masculinistes font annuler des conférences féministes et retirer des publicités jugées « anti-hommes ». Aux États-Unis, Donald Trump n’hésite pas à séduire les influenceurs masculinistes pour mobiliser le jeune électorat masculin.
Parfois, ces idées se terminent en bain de sang. En 2014, Elliot Rodger tue six personnes en Californie pour venger son manque de succès auprès des femmes. En 2018, Alek Minassian, incel revendiqué, fauche 10 personnes avec sa voiture à Toronto.
La naissance d’un nouvel ordre masculiniste mondial
Tu l’as compris, le masculinisme est avant tout une réaction aux avancées des droits des femmes. Son succès illustre parfaitement le concept de « backlash », théorisé par Susan Faludi pour désigner la contre-offensive conservatrice des vingt dernières années.
Sur la scène internationale, les États et les mouvements conservateurs se nourrissent du masculinisme pour limiter les droits des femmes. Pour parvenir à leurs fins, ils n’hésitent pas à s’appuyer sur des rhétoriques fallacieuses : protéger la famille traditionnelle face à « l’idéologie du genre », résister à l’impérialisme culturel des pays du Nord…
Un de leurs plus beaux succès : la déclaration du consensus de Genève de 2020. Signée par 34 pays, dont les États-Unis de Trump ou le Brésil de Bolsonaro, elle défend le droit des États à interdire l’IVG au nom de leur souveraineté.
Comment résister au masculinisme ?
S’il prétend défendre les hommes, le masculinisme s’attaque en réalité aux droits les plus fondamentaux. Pour contrer ce mouvement, il est essentiel d’agir :
- Sensibiliser dès le plus jeune âge en intégrant l’égalité des genres dans les programmes scolaires pour déconstruire les stéréotypes sexistes.
- Réguler les plateformes numériques (TikTok, Youtube, etc.) pour limiter la diffusion de contenus haineux et sexistes.
- Soutenir les organisations féministes. Des ONGs comme Equipop, Equality Now ou l’ Association for Women's Rights in Development (AWID) travaillent quotidiennement à la promotion des droits des femmes.
Le combat pour l’émancipation des femmes est loin d’être terminé. Pour avancer vers une société plus égalitaire, chaque geste compte.
« Le masculinisme défend, au nom des droits des hommes, une structure inégalitaire, là où le féminisme pose d’entrée de jeu la question politique de la liberté et de l’égalité, repères de la démocratie. »
Geneviève Fraisse, philosophe et directrice de recherche émérite au CNRS
Par Rédaction Tilt
✊
J'agis

Société
Inégalités hommes femmes, l'écart continue de se creuser


Société
Le "backlash", c'est quoi ? On t'aide à comprendre ce terme !


Société
Droits LGBTQIA+ dans le monde : on en est où ?


Société
Contraception dans le monde : la pilule passe mal


Société
Le patriarcat, c’est quoi ?


Société
Le patriarcat peut-il mourir ?
